joues sont ainsi inondées de larmes, à cause de la pitié que j’éprouve pour un jouvenceau qui doit être mis aujourd’hui à mort dans un château voisin d’ici. » Amoureux de la jeune et belle fille du roi d’Espagne, Marsile, il s’introduisait chaque nuit chez elle, sans que les ser- viteurs de la princesse en eussent le moindre soupçon, sous le voile blanc et les vêtements d’une femme, et en déguisant sa voix et sa figure. Mais on ne peut agir si secrètement, qu’à la fin il ne se trouve quelqu’un qui vous voie et vous remarque. » Quelqu’un, s’en étant aperçu, en parla à une ou deux per- sonnes, et celles-ci confièrent le secret à d’autres, jusqu’à ce que le roi en fût instruit. Un émissaire du roi est venu la nuit der- nière surprendre les deux amants dans le lit, et tous deux ont été séparément mis en prison dans le château. Je crois que ce jour ne se terminera pas sans que le jeune homme ait péri dans les supplices. » Je me suis enfuie pour ne pas voir une telle cruauté, car ils doivent le brûler vif. Rien ne saurait me causer une douleur pareille à celle que me fait éprouver le malheureux sort d’un jeune homme si beau, et je ne pourrai jamais plus éprouver de plaisir sans le voir aussitôt se changer en chagrin, dès que je me rappellerai que la flamme cruelle a dévoré ses membres si déli- cats et si bien faits. » Bradamante écoute, et son cœur est vivement oppressé de la nouvelle qu’elle apprend. La crainte qu’elle éprouve est telle, qu’il semble que le condamné soit un de ses frères. Et certes sa peur était fondée, comme je le dirai par la suite. Elle se tourne vers Roger et dit : « Il me semble que nous devons nous servir de nos armes en faveur de ce jeune homme ? » Puis elle dit à la dame affligée : « Rassure-toi, et vois à nous introduire dans les murs de ce château, car si le jeune – 467 –