ment le traître – dit-elle – qui chercha à m’outrager et à me couvrir de honte. C’est son crime même qui l’a conduit ici pour recevoir d’un seul coup le prix de tous ses forfaits. » Menacer Pinabel, porter la main à son épée et s’avancer vers lui, est pour Bradamante l’affaire d’une seconde ; mais au- paravant, elle a soin de lui couper le chemin, de façon qu’il ne puisse s’enfuir vers le château. Comme le renard dont on a bou- ché le terrier, Pinabel voit que tout espoir de salut lui est enlevé. Il fuit en criant, sans retourner la tête, et se lance à travers la forêt. Pâle, éperdu, le misérable éperonne son cheval, car son dernier espoir est dans une prompte fuite. L’ardente damoiselle de Dordogne le suit l’épée dans les reins, le frappe et le serre de près ; elle est sans cesse sur ses épaules et ne lui laisse pas un moment de répit. Grande est la rumeur, et le bois en retentit tout alentour. Personne, au château, ne s’est encore aperçu de cet incident, car on ne regarde que Roger. Cependant les trois autres chevaliers étaient sortis de la forteresse, ayant avec eux la dame inique qui avait imposé l’infâme coutume. Chacun d’eux préférerait la mort à une vie digne de blâme ; aussi leur visage est rouge de honte, et leur cœur est brisé de douleur d’aller, à eux trois, combattre contre un seul. La cruelle courtisane qui avait fait établir cette infâme cou- tume et qui la faisait observer, leur rappelle le serment qu’ils lui ont fait de la venger. « Puisque je suis sûr de l’abattre avec ma lance – lui dit Guidon le Sauvage – pourquoi veux-tu que mes amis m’accompagnent ? Si je mens, fais-moi couper ensuite la tête ; je serai content. » Ainsi disait Griffon, ainsi disait Aquilant. Chacun des trois chevaliers veut combattre seul, et préfère la prison ou la mort à – 474 –