qu’elle s’en est allée secourir le jouvenceau, de crainte qu’on ne le livre aux flammes si elle s’arrête plus longtemps à regarder le combat. Parmi ceux qui gisaient étendus, Roger voit la dame qui l’avait conduit. Il la place, encore évanouie, sur le devant de sa selle, et poursuit son chemin, l’esprit tout troublé. Il recouvre l’écu avec un manteau que la dame avait par-dessus ses vête- ments, et celle-ci recouvre ses sens aussitôt que la malfaisante lumière est cachée. Roger s’en va, le visage rouge de honte. Il n’ose lever la tête. Il lui semble que chacun est en droit de lui reprocher une victoire si peu glorieuse. « Que pourrai-je faire – disait-il – pour me faire pardonner une action si honteuse ? Toutes les fois que je vaincrai désormais, on dira que c’est grâce à des enchante- ments, et non à ma vaillance. » Pendant qu’il s’en allait, roulant ces pensées, il arriva dans un lieu où il trouva l’occasion de mettre à exécution le projet qu’il méditait. Il rencontra à l’improviste sur sa route un puits profond où les troupeaux venaient se rafraîchir, au moment de la grosse chaleur, dans un abreuvoir plein d’eau. Roger dit : « Maintenant, écu maudit, je vais prendre mes mesures pour que tu ne me fasses plus jamais honte. » Je vais me séparer pour toujours de toi ; et ce sera le der- nier blâme que tu m’auras attiré en ce monde. » Ainsi disant, il descend de cheval, prend une grosse et lourde pierre, l’attache à l’écu, et les jette tous les deux au fond du puits. « Que ma honte – dit-il – soit ensevelie avec toi et pour toujours. » Le puits était profond et plein d’eau jusqu’à son ouverture ; l’écu était lourd, lourde était la pierre ; tous deux ne s’arrêtèrent qu’au fond ; au-dessus d’eux, se referma l’eau molle et douce. La renommée ne laissa pas cette noble action ignorée ; elle la di- – 477 –