revoir jamais, et encore moins à recevoir d’elle le prix de ses crimes. Il ne lui servit de rien non plus de se tenir enfermé dans le château de son père, à Hauterive, situé près du territoire de Poitiers, au milieu de montagnes sauvages. Le vieux comte Anselme tenait ce castel d’Hauterive ; c’était de lui que sortait ce traître qui, pour échapper à la ven- geance des Clermont, n’eut pas même le secours d’une main amie. Bradamante, au pied d’une montagne, lui arracha sans peine son indigne vie, car il ne sut se défendre qu’en poussant des cris de terreur et en demandant merci. Dès qu’elle eut donné la mort au faux chevalier qui avait naguère essayé de la tuer elle-même, elle voulut retourner là où elle avait laissé Roger. Mais son destin contraire ne le lui permit pas, et la poussa par un sentier qui la conduisit dans la partie la plus épaisse, la plus sauvage et la plus solitaire du bois, au mo- ment où le soleil laissait le monde plongé dans les ténèbres. Ne sachant où elle pourrait passer la nuit ailleurs, elle s’arrête en cet endroit, sous la feuillée et sur l’herbe nouvelle, jusqu’à ce que le jour revienne, tantôt dormant, tantôt contem- plant Saturne ou Jupiter, Vénus ou Mars et les autres divinités errantes dans le ciel. Mais qu’elle veille ou qu’elle dorme, elle voit toujours en son esprit Roger présent à ses côtés. Parfois elle pousse de profonds soupirs de regrets et de douleur, en songeant que chez elle la colère l’a emporté sur l’amour. « La colère, – disait-elle, – m’a séparée de mon amant. Si, du moins, j’avais su marquer ma route, j’aurais pu retourner à l’endroit d’où j’étais venue, après avoir accompli mon entre- prise vengeresse. Mais ma mémoire et mes yeux m’ont fait dé- faut. » Elle se dit cela, et d’autres choses encore ; ses pensées tu- multueuses se pressent en foule dans son cœur, et ses soupirs et – 481 –