toute l’énergie dont la Souveraine Prudence m’a doué. Mais en- fin, vaincu par une force irrésistible, j’ai succombé. » Ainsi dit Odoric ; puis il ajouta d’autres excuses trop lon- gues pour vous les raconter toutes. Il chercha à montrer qu’il avait été poussé par un entraînement fatal et non par une fan- taisie légère. Si jamais prières eurent le pouvoir d’apaiser la co- lère, si l’humilité du langage obtint jamais un résultat, ce dut être en ce moment, car Odoric trouva des accents capables d’émouvoir le cœur le plus dur. Zerbin hésite ; doit-il ou non tirer vengeance d’une telle in- jure ? Il sent que le crime du félon mérite la mort ; mais le sou- venir de l’étroite amitié qui les a si longtemps unis tempère, par la pitié, la colère dont son cœur est embrasé, et réclame merci pour le coupable. Pendant que Zerbin était ainsi en suspens et se demandait s’il devait rendre la liberté à Odoric, l’emmener captif pour le retenir dans les tourments, ou se débarrasser par la mort de la vue du traître, le palefroi auquel Mandricard avait enlevé la bride vint à passer, hennissant et emporté par sa course. Sur son dos était la vieille qui avait, peu auparavant, failli envoyer Zerbin à la mort. Le palefroi, ayant entendu de loin hennir les autres cour- siers, accourait au milieu d’eux, emportant la vieille tout en pleurs et criant en vain au secours. Dès que Zerbin la vit, il leva les mains au Ciel pour le remercier de la faveur qu’il lui faisait en lui livrant les deux seuls êtres qu’il devait haïr. Zerbin fait arrêter la vieille en attendant qu’il ait décidé ce qu’il en devait faire. Il songe d’abord à lui couper le nez et les deux oreilles, pour servir d’exemple aux malfaiteurs ; puis il lui paraît préférable de donner son corps en pâture aux vautours. – 515 –