Disant : « Personne ne m’en peut blâmer ; ce n’est pas d’aujourd’hui que cette épée est mienne, et je peux à bon droit en reprendre possession partout où je la trouve. Roland, qui n’osait la défendre, a simulé la folie et l’a jetée sur le chemin. Mais, parce qu’il excuse ainsi sa lâcheté, ce n’est pas une raison pour que je n’use pas de mon droit. » Zerbin lui criait : « Ne la touche point, ou ne pense pas l’avoir sans combat. Si tu as eu ainsi les armes d’Hector, tu les as volées, et tu ne les possèdes pas légitimement. » Sans plus rien se dire, ils courent l’un sur l’autre, avec une ardeur égale, avec le même courage. La bataille commence à peine, et déjà l’air retentit de cent coups. Preste comme une flamme, Zerbin évite Durandal partout où elle tombe. Deçà, delà, il fait sauter son destrier comme un daim, aux endroits où la place lui semble le plus favorable. Et bien lui sert de ne pas perdre une minute, car un seul coup de cette épée l’enverrait retrouver les esprits des amants qui rem- plissent la forêt des myrtes ombreux. Comme le chien agile se jette sur le porc qu’il a vu s’éloigner du troupeau et errer dans les champs, et tourne au- tour de lui, sautant de ci, de là, tandis que celui-ci guette l’occasion de le mordre, ainsi Zerbin prend bien garde de voir si l’épée se relève ou s’abaisse, afin de l’éviter. Pour conserver d’un même coup sa vie et son honneur, il a l’œil sans cesse aux aguets, et frappe ou s’éloigne à temps. De l’autre côté, partout où vibre la terrible épée du Sarra- sin, qu’elle frappe à plein ou à vide, on croirait entendre un vent des Alpes descendre, comme en mars, entre deux montagnes et secouer la chevelure d’une forêt dont il couche à terre les arbres, et dont il roule dans les airs les rameaux brisés. Bien que Zerbin – 520 –