désespéré dans l’enfer profond et obscur, où la pensée que je vous ai ainsi laissée sera plus cruelle que tous les tourments qui peuvent y être. » À ces mots, la désespérée Isabelle incline son visage ruisse- lant de pleurs, et collant sa bouche à celle de Zerbin, pâle comme une rose qu’on a oublié de cueillir et qui se flétrit sur la tige ombreuse, elle dit : « Ne croyez pas, ô ma vie, faire sans moi ce suprême voyage. » De cela, ô mon cœur, n’ayez aucune crainte ; je vous sui- vrai au ciel ou dans l’enfer. Il faut que nos deux âmes s’envolent et partent ensemble, et soient ensemble réunies dans l’éternité. Je n’aurai pas plus tôt vu vos yeux se fermer, que la douleur me tuera, et si la douleur ne peut le faire, je vous jure qu’avec cette épée je me percerai la poitrine. » J’espère que nos corps seront plus heureux, nous morts, que pendant notre vie. Quelqu’un passera sans doute par ici et, mû de pitié, leur donnera une même sépulture. » Ainsi disant, elle recueille de ses lèvres décolorées, le souffle vital que la mort va ravir ; elle attend jusqu’à ce qu’il en reste le moindre vestige. Zerbin, renforçant sa voix débile, dit : « Je vous prie et vous supplie, ô ma déesse, par cet amour que vous me témoi- gnâtes quand vous abandonnâtes pour moi le rivage paternel, et si je puis ordonner, je vous ordonne de vivre pendant tout le temps qu’il plaira à Dieu. N’oubliez pas, quoi qu’il arrive, que je vous ai aimée autant qu’on peut aimer. » Dieu vous enverra sans doute un protecteur pour vous préserver de toute mauvaise rencontre, comme il fit quand il conduisit le sénateur romain à la caverne pour vous en arracher. Ainsi sa bonté vous a secourue jadis sur mer et contre l’infâme Biscayen. Et s’il advient que par la suite vous deviez mourir, alors vous pourrez choisir la mort la plus douce. » – 524 –