tendre enfance, elle avait été habituée à manier l’écu et la lance. » Cette confidence n’amortit pas une étincelle du feu qui consumait la dame énamourée. Le remède venait trop tard pour guérir la plaie faite par le trait qu’Amour avait enfoncé si pro- fondément. » Le visage de Bradamante ne lui en paraît pas moins beau, son regard moins doux, ses manières moins séduisantes. Elle ne peut reprendre possession de son cœur qui déjà ne lui appar- tient plus. En voyant ma sœur sous cet habit, il lui semble im- possible de ne pas se consumer de désir pour elle, et quand elle songe que c’est une femme, elle soupire, elle pleure, et montre une douleur immense. » Quiconque aurait ce jour-là été témoin de son désespoir et de ses pleurs, aurait pleuré avec elle, “Quels tourments – di- sait-elle – furent jamais plus cruels que les miens ? À tout autre amour, coupable ou permis, je pourrais espérer une fin désirée ; je saurais séparer la rose de ses épines. Seul mon désir est sans espoir. » ”Si tu voulais, Amour jaloux de mon heureux destin, me faire sentir tes rigueurs, ne pouvais-tu te contenter de me faire subir les maux ordinaires aux autres amants ? Parmi les hom- mes, ni parmi les animaux, je n’ai jamais vu une femelle s’éprendre d’amour pour une autre femelle. Une femme ne paraît point belle aux autres femmes, pas plus que la biche à la biche et la brebis à la brebis. » ”Sur la terre, dans les airs, au sein des ondes, je suis seule à souffrir une telle cruauté de ta part, et tu as voulu, en agissant ainsi, montrer, par une funeste erreur, jusqu’où peut aller ton pouvoir. L’épouse du roi Ninus, qui aima son fils, éprouva un désir impie et coupable ; il en fut de même pour Myrrha, qui aima son père, et pour Pasiphaë, la Crétoise, qui s’éprit d’un – 539 –