elle pourrait, en la voyant sous son aspect véritable, chasser de son esprit la pensée qui l’obsédait. » Elles partagèrent le même lit, mais leur repos fut loin d’être le même, car l’une dormit tranquillement, tandis que l’autre ne cessa de pleurer et de gémir, sentant son désir de plus en plus impérieux. Et si parfois le sommeil la prenait, il lui sem- blait, dans un songe aussi rapide que trompeur, que le ciel l’avait exaucée, et avait changé le sexe de Bradamante. » Comme le malade brûlé par une soif ardente, s’il vient à s’endormir avec cette envie qui le consume, se voit, dans son sommeil troublé et inquiet, entouré d’eaux de toutes parts, ainsi Fleur-d’Épine s’imagine dans son rêve que son désir est satis- fait. Elle se réveille, et veut s’assurer aussitôt de la main si c’est la vérité, mais, hélas ! elle se convainc toujours que ce n’est qu’un vain songe. » Que de prières, que de vœux elle adressa, pendant cette nuit, à Mahomet et à tous les dieux, pour leur demander de changer, par un miracle éclatant, le sexe de sa compagne ! Mais tous ses vœux restèrent sans effet. Peut-être même le ciel se riait-il d’elle. La nuit s’acheva enfin, et Phébus, montrant sa blonde tête hors de la mer, vint rendre la lumière au monde. » Dès que le jour eut paru, et qu’elles eurent quitté le lit, Fleur-d’Épine sentit redoubler sa douleur, car Bradamante, dé- sireuse de sortir d’un pareil embarras, parlait déjà de partir. La gente damoiselle veut qu’en partant elle accepte en don un ma- gnifique genêt, tout harnaché d’or, et une soubreveste riche- ment brodée de sa propre main. » Fleur-d’Épine, après l’avoir accompagnée pendant quel- que temps, rentra toute en pleurs dans son château. Ma sœur, ayant pressé le pas, arriva le même jour à Montauban. Nous tous, ses frères, ainsi que notre pauvre mère, nous l’entourâmes – 541 –