livrerait les deux frères. Enfin le sommeil vint fermer les yeux aux maîtres et aux valets. Roger seul ne dormit pas ; une pensée importune lui pesait sur le cœur et le tenait éveillé. La nouvelle du siège qu’avait à soutenir Agramant, nou- velle qu’il avait apprise le jour même, lui tenait au cœur. Il voyait bien que le moindre retard apporté à voler à son secours était pour lui un déshonneur. De quelle infamie, de quelle honte ne se couvrira-t-il pas, s’il s’en va avec les ennemis de son maî- tre ? Ne lui reprochera-t-on pas comme une lâcheté, comme un grand crime, de s’être fait baptiser en un pareil moment ? En tout autre temps, on aurait pu facilement croire que la vraie religion l’a seule touché. Mais maintenant qu’Agramant assiégé a plus que jamais besoin de son aide, chacun croira plu- tôt qu’il a cédé à la crainte, à une coupable lâcheté, qu’à l’entraînement d’une croyance meilleure. Voilà ce qui agite et tourmente le cœur de Roger. D’un autre côté il souffrait à l’idée de s’éloigner sans la permission de sa reine. Ces deux pensées contraires le plon- geaient tour à tour dans le doute et l’incertitude. Il avait d’abord espéré revoir Bradamante au château de Fleur-d’Épine, où ils devaient aller ensemble, comme je l’ai dit plus haut, pour secou- rir Richardet. Puis il se souvint qu’elle lui avait promis de se retrouver avec lui à Vallombreuse. Il se dit que si elle y était allée, elle avait dû s’étonner de ne l’y point trouver. S’il pouvait au moins lui envoyer une lettre ou un messager, afin qu’elle ne se tour- mentât point de ce que non seulement il lui avait désobéi, mais de ce qu’il était parti sans lui en faire part ! Après avoir combiné divers projets, il pense que le mieux est de lui écrire tout ce qui lui était arrivé, et bien qu’il ne sache pas comment il pourra lui faire parvenir sa lettre, il ne veut pas – 549 –