Muette, étonnée, la fille d’Aymon se tient attentive aux pa- roles de cette dame ; et elle a le cœur si rempli d’admiration, qu’elle ne sait si elle dort, ou si elle est éveillée. Les yeux baissés et confus, tant elle était modeste, elle répond : « Quel mérite ai- je donc, pour que les prophètes prédisent ma venue ? » Et, joyeuse de l’insolite aventure, elle suivit sur-le-champ la magicienne qui la conduisit au sépulcre renfermant l’âme et les os de Merlin. Ce monument était en pierre dure, brillante et po- lie, et rouge comme flamme ; de telle sorte que, bien qu’elle fût privée de soleil, la caverne resplendissait de la lumière qui s’en échappait. Soit qu’elle fût produite par des marbres qui faisaient se mouvoir les ombres à la façon des torches, ou par la seule force d’enchantements, d’évocations, ou de signes empruntés aux étoiles observées, cette splendeur découvrait les nombreuses beautés sculptées et peintes dont, tout autour, le vénérable lieu était orné. À peine Bradamante a-t-elle mis le pied sur le seuil de la demeure secrète que, du sein de la dépouille mortelle, l’esprit vivant lui parle d’une voix très distincte : « Que la fortune favo- rise tous tes désirs, ô chaste et très noble damoiselle, du ventre de laquelle sortira la semence féconde qui doit honorer l’Italie et le monde entier ! » L’antique sang issu de Troie 36, en toi mêlé par ses deux meilleures sources, produira l’ornement, la fleur, la joie de la plus éclatante lignée qu’ait jamais vu le soleil entre l’Inde et le Tage, le Nil et le Danube, entre le pôle antarctique et l’Ours. Parmi ta postérité parvenue aux honneurs suprêmes, on comp- tera des marquis, des ducs et des empereurs. 36 Boïardo, dans le chant XVIe du livre Ier et dans le chant Ve du li- vre III, prétend que la famille de Roger descendait d'un neveu de Priam. – 55 –