Roger, Gradasse, Sacripant et tous ces chevaliers qui étaient descendus ensemble, en haut, en bas, se sont postés aux endroits où ils espèrent que le cheval volant reviendra. Celui-ci, après qu’il a entraîné tous les autres à plusieurs reprises sur les plus hautes cimes et dans les bas-fonds humides, à travers les rochers, s’arrête à la fin près de Roger. Et cela fut l’œuvre du vieux Atlante, qui n’abandonne pas le pieux désir de soustraire Roger au grand péril qui le menace. À cela seul il pense, et de cela seul il se tourmente. C’est pourquoi, afin de l’enlever d’Europe par cet artifice, il lui envoie l’hippogriffe. Roger le saisit et pense le tirer après lui ; mais ce- lui-ci s’arrête et ne veut pas le suivre. Ce vaillant descend alors de Frontin – son destrier se nommait Frontin43 – et monte sur celui qui s’en va par les airs, et avec les éperons excite son impétueuse ardeur. Celui-ci ga- lope un moment ; puis, s’appuyant fortement sur ses pieds, il prend son élan vers le ciel, plus léger que le gerfaut auquel son maître lève à temps le chaperon et montre l’oiseau. La belle dame, qui voit son Roger si haut et dans un tel pé- ril, reste tellement interdite, qu’elle ne peut de longtemps reve- nir au sentiment de la réalité. Ce qu’elle a autrefois entendu ra- conter de Ganymède, qui, de l’empire paternel, fut enlevé au ciel, lui fait craindre que pareille chose n’arrive à Roger, non moins aimable et non moins beau que Ganymède. Les yeux fixes, elle le suit dans le ciel tant qu’elle peut le voir ; mais comme il s’éloigne tellement que la vue ne peut aller si loin, elle laisse toujours son âme le suivre. Cependant elle 43 Frontin avait primitivement appartenu à Sacripant auquel il avait été volé par Brunel, qui le donna ensuite à Roger. Voir Berni, chant XXXIV, stance 43. – 78 –