soupire, gémit et pleure, et n’a et ne veut avoir paix ni trêve à son chagrin. Quand Roger s’est tout à fait dérobé à sa vue, elle tourne les yeux vers le bon destrier Frontin. Et elle se décide à ne pas l’abandonner, car il pourrait de- venir la proie du premier venu ; mais elle l’emmène avec elle pour le rendre à son maître, qu’elle espère revoir encore. Le cheval-oiseau s’élève toujours, et Roger ne peut le refréner. Il voit au-dessous de lui les hautes cimes s’abaisser de telle sorte qu’il ne reconnaît plus où est la plaine et où est la montagne. Il monte si haut, qu’il paraît comme un petit point à qui le regarde de la terre. Il dirige sa course vers le point où le soleil tombe quand il tourne avec l’Écrevisse ; et par les airs il va, comme le navire léger pousse sur mer par un vent propice. Lais- sons-le aller, car il fera un bon chemin, et retournons au paladin Renaud. Renaud, deux jours durant, parcourt sur mer un long es- pace, tantôt au couchant, tantôt vers l’Ourse, chassé par le vent, qui, nuit et jour, ne cesse de souffler. Il est en dernier lieu pous- sé sur l’Écosse, où apparaît la forêt calédonienne, dont on en- tend souvent les vieux chênes ombreux retentir du bruit des combats. Elle est fréquentée par les chevaliers errants les plus illus- tres sous les armes, de toute la Bretagne et de pays voisins ou éloignés, de France, de Norwège et d’Allemagne. Quiconque ne possède pas une grande valeur ne doit pas s’y aventurer ; car, en cherchant l’honneur, il trouverait la mort. De grandes choses y furent jadis accomplies par Tristan, Lancelot, Galasse, Artus et Gauvain, Et d’autres chevaliers fameux de la nouvelle et de l’ancienne Table ronde. Comme preuve de leur valeur, existent encore les monuments et les trophées pompeux qu’ils y élevè- – 79 –