» Qu’il soit vrai ou faux que Ginevra ait reçu son amant, ce- la ne me regarde pas. De l’avoir fait, je la louerais très fort, pourvu qu’elle eût pu le cacher. Mon unique pensée est de la défendre. Donnez-moi donc quelqu’un qui me guide et me mène promptement là où est l’accusateur. J’espère, avec l’aide de Dieu, tirer Ginevra de peine. » Non que je veuille dire qu’elle n’a pas fait ce dont on l’accuse, car, ne le sachant pas, je pourrais me tromper ; mais je dirai que, pour un pareil acte, aucune punition ne doit l’atteindre. Je dirai encore que ce fut un homme injuste ou un fou, celui qui le premier vous fit de si coupables lois, et qu’elles doivent être révoquées comme iniques, et remplacées par une nouvelle loi conçue dans un meilleur esprit. » Si une même ardeur, si un désir pareil incline et entraîne, avec une force irrésistible, l’un et l’autre sexe à ce suave dé- nouement d’amour que le vulgaire ignorant regarde comme une faute grave, pourquoi punirait-on ou blâmerait-on une dame d’avoir commis une ou plusieurs fautes de ce genre, alors que l’homme s’y livre autant de fois qu’il en a appétit, et qu’on l’en glorifie, loin de l’en punir ? » Dans ces lois peu équitables, il est fait de véritables torts aux dames ; et j’espère, avec l’aide de Dieu, montrer qu’il serait très malheureux de les conserver plus longtemps. » D’un consentement unanime, on convint avec Renaud que les anciens législateurs furent injustes et discourtois en autorisant une loi si inique, et que le roi faisait mal, le pouvant, de ne pas la corriger. Dès que la pure et vermeille clarté du jour suivant a ouvert l’hémisphère, Renaud revêt ses armes et monte Bayard. Il prend à l’abbaye un écuyer qui va avec lui pendant plusieurs lieues, toujours à travers le bois horrible et sauvage, vers la ville où doit – 82 –