» Il me disait bien qu’il n’égalait pas celui qu’il avait pour moi, et que ce n’était pas un véritable amour qu’il avait pour Ginevra ; mais, en feignant d’en être épris, il espérait célébrer avec elle un légitime hymen. L’obtenir du roi serait chose facile, si elle y consentait, car dans tout le royaume, après le roi, il n’y avait personne, par sa naissance et son rang, qui en fût plus di- gne que lui. » Il me persuada que si, par mon concours, il devenait le gendre du roi, – ce qui, comme je pouvais voir, l’élèverait aussi près du roi qu’un homme puisse s’élever, – il m’en récompense- rait généreusement et n’oublierait jamais un si grand bienfait ; ajoutant que, de préférence à sa femme et à toute autre, il serait toujours mon amant. » Moi, qui étais toute portée à le satisfaire, je ne sus ou je ne voulus pas le contredire, et je n’eus de contentement que le jour où je l’eus satisfait. Je saisis la première occasion qui se présenta de parler de lui et d’en faire un grand éloge ; et j’appliquai tout mon savoir, tous mes soins, à rendre Ginevra amoureuse de mon amant. » Je fis consciencieusement tout ce qui se pouvait faire, Dieu le sait ; mais je ne pus jamais obtenir de Ginevra qu’elle prît mon duc en faveur ; et cela, parce qu’elle avait appliqué tou- tes ses pensées, tous ses désirs, à aimer un gentil chevalier, beau et courtois, venu de lointains pays en Écosse. » Il était venu d’Italie, avec son jeune frère, s’établir à cette cour. Il devint depuis si parfait dans le métier des armes, que la Bretagne n’avait pas de chevalier plus accompli. Le roi l’aimait et le montra effectivement en lui donnant en abondance des châteaux, des villes et des dignités qui le firent l’égal des grands barons. – 87 –