» Et dit, loyalement et droitement, comment entre Ginevra et lui les choses s’étaient passées ; qu’elle lui avait juré, de vive voix et par écrit, qu’elle ne serait jamais la femme d’un autre, mais bien la sienne, et que, si le roi venait à s’y opposer, elle re- fuserait constamment toutes les autres propositions de mariage, et vivrait seule pendant tout le reste de ses jours ; » Et que lui, Ariodant, grâce à la valeur qu’il avait montrée à plus d’une reprise dans les combats, et qui avait tourné à la gloire, à l’honneur et au bénéfice du roi et du royaume, avait l’espoir de s’être assez avancé dans la bonne grâce de son sei- gneur, pour qu’il fût jugé digne par lui d’avoir sa fille pour femme, puisque cela plaisait à celle-ci. » Puis il dit : “J’en suis à ce point, et je ne crois pas que personne ne me vienne supplanter. Je n’en cherche pas davan- tage, et je ne désire pas avoir de témoignage plus marquant de son amour. Et je ne voudrais plus rien, sinon ce qui par Dieu est permis en légitime mariage. Du reste, demander plus serait vain, car je sais qu’en sagesse elle surpasse tout le monde.” » Après qu’Ariodant eut exposé avec sincérité ce qu’il at- tendait comme prix de ses soins, Polinesso, qui déjà s’était pro- posé de rendre Ginevra odieuse à son amant, commença ainsi : “Tu es de beaucoup distancé par moi, et je veux que tu l’avoues toi-même, et qu’après avoir vu la source de mon bonheur, tu confesses que moi seul suis heureux. » ”Elle dissimule avec toi ; elle ne t’aime ni ne t’estime, et tu te repais d’espérance et de paroles. En outre, elle ne manque pas de se railler de ton amour toutes les fois qu’elle s’entretient avec moi. J’ai de sa tendresse pour moi une bien autre preuve que des promesses ou de simples bagatelles. Et je te la dirai sous la foi du secret, bien que je fisse mieux de me taire. – 91 –