» ”Il ne se passe pas de mois, sans que trois, quatre, six et quelquefois dix nuits, je ne me trouve nu dans ses bras, parta- geant avec elle ce plaisir qu’on goûte dans une amoureuse ar- deur. Par là, tu peux voir si à mon bonheur doivent se comparer les babioles que tu donnes comme des preuves. Cède-moi donc la place et pourvois-toi ailleurs, puisque tu vois que tu m’es si inférieur.” » “En cela je ne veux pas te croire – lui répondit Ariodant – et je suis certain que tu mens. Tu as imaginé en toi-même tous ces mensonges, afin de m’effrayer et de me détourner de mon entreprise. Mais comme ils sont par trop injurieux pour Gine- vra, il faut que tu soutiennes ce que tu as dit. Et je veux te mon- trer sur l’heure que non seulement tu es un menteur, mais en- core un traître.” » Le duc repartit : “Il ne serait pas juste que nous en vins- sions à bataille pour une chose que je puis, quand il te plaira, te faire voir de tes propres yeux.” À ces mots, Ariodant reste éper- du ; un frisson lui parcourt tout le corps ; il tremble, et s’il eût cru complètement à ce qu’on lui avait dit, il en serait mort sur- le-champ. » Le cœur brisé, le visage pâle, la voix tremblante et l’amertume à la bouche, il répondit : “Quand tu m’auras fait voir une si étonnante aventure, je te promets de renoncer à celle qui t’est si libérale et à moi si avare. Mais je ne veux pas te croire avant de l’avoir vu de mes yeux.” » “Quand il en sera temps, je t’avertirai – répliqua Polines- so.” Et ils se séparèrent. Je crois qu’il ne se passa pas plus de deux nuits sans que j’ordonnasse au duc de venir me voir. Afin donc de déployer les lacs qu’il avait si secrètement préparés, il alla trouver son rival, et lui dit de se cacher la nuit suivante parmi les maisons en ruine, où jamais personne ne venait. – 92 –