» Et il lui indiqua un endroit juste en face du balcon par le- quel il avait l’habitude de monter. Ariodant le soupçonnait de chercher à l’attirer en un lieu où il aurait facilité de lui tendre un guet-apens et de le faire tuer, sous prétexte de lui montrer ce qui, de la part de Ginevra, lui paraissait impossible. » Il résolut toutefois d’y aller, mais de façon à être aussi fort que son rival, et, dans le cas où il serait assailli, de n’avoir pas à craindre la mort. Il avait un frère prudent et courageux, le plus renommé de toute la cour pour son adresse aux armes et nommé Lurcanio. L’ayant avec lui, il était plus rassuré que s’il avait eu dix autres compagnons. » Il l’appelle, lui dit de prendre ses armes, et l’emmène avec lui, sans lui avoir confié son secret, car il ne l’avait dit ni à lui ni à aucun autre. Il le place à un jet de pierre loin de lui : “Si tu m’entends appeler – lui dit-il – accours ; mais si tu ne m’entends pas t’appeler, ne bouge pas de là si tu m’aimes.” » “Va toujours et ne crains rien – dit son frère.” Rassuré, Ariodant s’en vient alors et se cache dans une maison solitaire, située en face de mon balcon secret. D’un autre côté s’avance le trompeur, le traître, tout joyeux de couvrir Ginevra d’infamie. Il me fait le signe entre nous convenu d’avance, à moi qui de sa fourberie étais tout à fait ignorante. » Et moi, avec une robe blanche ornée tout autour de la taille de bandes d’or, ayant sur la tête un filet d’or surmonté de belles fleurs vermeilles, – à la façon dont Ginevra seule avait coutume d’en porter, – dès que j’eus entendu le signal, je parus sur le balcon qui était placé de façon qu’on me découvrait en face et de tous côtés. » Lurcanio, sur ces entrefaites, craignant que son frère ne soit en péril, ou poussé par ce désir commun à tous, de chercher à savoir les affaires d’autrui, l’avait suivi tout doucement, se te- – 93 –