» ”Nous étions alors près de Capobasso, qui, du côté de l’Irlande, s’avance quelque peu dans la mer. Après qu’il m’eut ainsi parlé, je le vis se précipiter tête baissée dans les ondes. Je l’ai laissé dans la mer, et je suis venu en toute hâte t’apporter la nouvelle.” À ce récit, Ginevra, épouvantée, le visage couvert d’une pâleur livide, resta à moitié morte. » Ô Dieu ! que ne dit-elle pas, que ne fit-elle pas, quand elle se retrouva seule sur sa couche fidèle ! Elle se frappe le sein, elle déchire ses vêtements, elle dévaste sa belle chevelure d’or, répé- tant à chaque instant les paroles qu’Ariodant avait dites à son heure dernière : La cause de sa mort cruelle et douloureuse ve- nait de ce qu’il avait trop vu ! » La rumeur courut que c’était par désespoir qu’Ariodant s’était donné la mort. Le roi ne put s’empêcher d’en verser des larmes, ainsi que les chevaliers et les dames de la cour. Son frère se montra le plus affligé de tous et s’abîma dans une douleur si forte, qu’à l’exemple d’Ariodant, il fut sur le point de tourner sa main contre lui-même pour le rejoindre. » Et, se répétant toujours, à part soi, que c’était Ginevra qui était cause de la perte de son frère, et que ce n’était pas autre chose que l’action coupable dont il avait été témoin qui l’avait poussé à mourir, il en vint à un tel désir de vengeance, que, vaincu par la colère et la douleur, il ne craignit pas de perdre la bonne grâce du roi et de lui devenir odieux, ainsi qu’à tout le pays. » Et, devant le roi, choisissant le moment où le salon royal était le plus rempli de courtisans, il s’en vint et dit : “Sache, sei- gneur, que de la folie qui a poussé mon frère à mourir, ta fille seule est coupable, car il a eu l’âme traversée d’une douleur telle, pour l’avoir vue oublier toute pudeur, que, plus que la vie, la mort lui fut chère. – 96 –