rencontre, et lui demanda où elle allait. Elle, les yeux encore rouges des pleurs qu’elle avait longuement versés, dit en soupi- rant, mais assez haut pour que ses paroles parvinssent à Roger : « J’emmenais – dit-elle – par la bride, comme me l’avait ordonné ta sœur, un cheval beau et bon à merveille. Ta sœur l’aime beaucoup, et il s’appelle Frontin. Je l’avais conduit déjà plus de trente milles du côté de Marseille, où elle-même devait se rendre au bout de quelques jours, et où elle m’avait dit de l’attendre. » Je cheminais sans crainte, ne croyant pas que quelqu’un fût assez hardi pour m’enlever ce cheval, quand je lui aurais dit qu’il était à la sœur de Renaud. Mais hier j’ai été détrompée, car un ribaud de Sarrasin me l’a pris. J’ai eu beau lui dire à qui ap- partenait Frontin, il n’a jamais voulu me le rendre. » Tout hier et tout aujourd’hui, je l’ai prié, et quand j’ai vu que prières et menaces étaient vaines, je l’ai laissé, après l’avoir accablé de malédictions et d’injures, à peu de distance d’ici, dé- fendant de son mieux le cheval et lui-même contre un guerrier qui lui donne une telle besogne, que j’espère bien ne pas tarder à être vengée. » À ce récit, Roger est soudain sur pieds. Il s’était contenu pour l’écouter jusqu’au bout. Se tournant vers Richardet, il lui demande, pour prix du service qu’il lui a rendu – et cela avec des prières sans fin – de le laisser aller seul avec la dame, jus- qu’à ce qu’elle lui ait fait voir le Sarrasin qui lui a enlevé des mains le bon destrier. Bien qu’il semble peu loyal à Richardet de laisser à un autre le soin de terminer une affaire qui lui incombe, il finit cepen- dant par se rendre aux prières de Roger ; celui-ci prend aussitôt congé de ses compagnons, et s’éloigne avec Hippalque, laissant – 16 –