Le Grand Cyrus partie 1 l'obligea à souffrir la veuë de tous les Chefs qui l'avoient suivi. Hidaspe, Chrisante, Aglatidas, Araspe, Feraulas, et Thrasibule, cét illustre Grec, entrerent tous dans sa Chambre : où Artamene ayant entretenu ce dernier en particulier, luy dit qu'il estoit bien fasché, de ne pouvoir aussi promptement qu'il l'eust desiré, luy rendre d'autres Vaisseaux : Mais que s'il estoit vray qu'il ne courust la Mer, que pour se mettre en seureté de ses Ennemis, ainsi qu'on le luy avoit dit, il l'assuroit de luy faire trouver un Azile inviolable à la Cour du Roy des Medes : et de l'obliger mesme à le remettre dans son Estat, aussi tost qu'il auroit retrouvé la Princesse sa Fille. Thrasibule le remercia fort civilement de cette offre obligeante, et l'accepta : ne pouvant faire autre chose, en un temps où il n'avoit point à choisir : joint que la valeur, et les rares qualitez d'Artamene, luy avoient donné tant d'amour, dés la premiere fois qu'il l'avoit connu, qu'il estoit presque consolé de sa disgrace, par une si heureuse rencontre. Artamene donc luy faisant beaucoup d'honneur, sortit avec luy, et avec tous ces autres Chefs, et fut par les Ruës de cette Ville : où le feu estoit veritablement esteint, mais où la desolation n'estoit pas passée. Cette noirceur espouvantable qui paroissoit par tout ; ces poûtres à demi bruslées ; et tous ces bastimens ruinez ; inspiroient quelque chose de si lugubre dans l'imagination ; qu'il eust esté difficile de pouvoir rien penser que de triste, en un lieu qui paroissoit si funeste. L'on y voyoit diverses personnes, qui parmi les cendres de leurs maisons, cherchoient leurs thresors fondus : et l'on en voyoit d'autres, qui poussez par un sentiment plus tendre, cherchoient sous ces ruines à demy consumées, les os de leurs Parens ou de leurs Amis. Artamene touché par des objets si tristes, consola tous ceux qui se trouverent sur son passage : et promit aux habitans en general, malgré leur rebellion, d'obliger le Roy à faire rebastir leur Ville. Feraulas presenta alors un homme à Artamene, qui luy donna une Lettre de la part du Roy d'Assirie : il la prit, et l'ayant leuë tout bas, il trouva ces paroles ; lors qu'il eut rompu les cachets des Tablettes de cire où elles estoient gravées. LE ROY D'ASSIRIE A ARTAMENE. Je louë cette scrupuleuse vertu, qui vous a forcé de n'escouter pas vostre generosité ; elle qui auroit sans doute esté bien aise, d'accorder la liberté à un Ennemy qui vous la demandoit : si elle eust pû consentir que vous eussiez un peu manqué à ce que vous deviez au Roy des Medes. Mais comme je suis equitable envers vous, ne soyez pas injuste envers moy, et ne blasmez pas un Prince, qui ne se seroit pas sauvé, si vous l'aviez laissé sur sa foy : et qui n'a pas creû faire un crime de s'échaper de ses Gardes pour tascher de delivrer nostre Princesse. Pour vous tesmoigner qu'en rompant ma prison, je n'ay pas rompu les conditions de nostre Traité ; je vous promets tout de nouveau, de vous advertir de toutes choses : de ne faire plus la guerre contre le Roy des Medes : de luy envoyer des Troupes : et ce qui est le plus difficile à executer, je vous promets encore une fois, de ne parler jamais de ma passion à la Princesse, quand mesme ce seroit moy qui la delivrerois ; que vostre deffaite ne m'en ait donné la liberté. Faites ce que je feray : et gardez la fidelité à un Ennemi, si vous voulez qu'il vous la garde. LE ROY D'ASSIRIE. Artamene leût cette Lettre avec joye, et avec chagrin tout ensemble : il estoit bien aise de la promesse que le Roy d'Assirie luy faisoit : car enfin la Princesse pouvoit aussi tost tomber entre les mains de Labinet, qu'entre les siennes. Mais d'autre part, il estoit fasché d'avoir reçeu devant tant de monde, une Lettre du Roy d'Assirie ; qu'il n'oseroit montrer à Ciaxare, pour beaucoup de choses qu'elle disoit. Il n'en fit pourtant pas semblant : et comme il fut rentré dans sa Chambre, choisissant d'entre des Tablettes de bois de Cedre, de plomb, et d'escorce de Philire, les plus magnifiquement enrichies ; (car toute l'Antiquité ne connut jamais papier ni encre) et prenant un de ces Burins que les Anciens appelloient un Style ; il en escrivit ces mesmes paroles. ARTAMENE AU ROY D'ASSIRIE. Je ne manque jamais à ce que j'ay promis, non plus qu'à ce que je dois : ainsi vous devez estre assuré, de me voir observer inviolablement, toutes les choses dont nous sommes convenus. Je souhaite seulement, que nous soyons bien tost en estat, de disputer un prix dont je suis indigne : mais file:///D|/Bureau/HTML/cyrus1.htm (12 sur 173)13/07/2003 16:32:12