Le Grand Cyrus partie 1 foiblesse, avoit laissé tomber aupres de luy : et s'esloignant d'un Ennemy, qui n'estoit pas en estat de satisfaire sa vangeance, apres avoir satisfait sa curiosité ; il sortit de cette maison, et s'en alla tout le long du rivage de la Mer, suivi de Chrisante et de Feraulas ; pour voir si par hazard il ne trouveroit point encore du moins quelque chose, qui eust esté à sa Princesse. Il commanda mesme à ces Pescheurs, qu'il avoit laissez au bord de la Mer, d'aller tous le long des rochers, pour voir s'ils n'y descouriroient rien, de ce qu'il craignoit, et de ce qu'il desiroit tout ensemble de trouver. Jamais l'on n'a vû personne en un si deplorable estat : Chrisante et Feraulas n'avoient pas la hardiesse de luy parler : et luy mesme ne sçavoit pas seulement, s'ils estoient aupres de luy. Il marchoit en regardant le rivage : et s'imaginant que tout ce qu'il voyoit estoit le Corps de sa chere Princesse ; il y couroit avec une precipitation extréme : et s'y arrestoit apres, avec un redoublement de chagrin estrange. Enfin apres avoir esté fort loing inutilement, il se mit sur un rocher qui s'avançoit un peu dans la Mer ; comme pour attendre si les vagues ne luy rendroient point ce qu'elles luy avoient dérobé : et commandant encore une fois à tous ceux qui avoient commencé de chercher, de continuer leur queste ; il ne demeura que Chrisante et Feraulas aupres de luy : qui quoy qu'il leur peust dire, ne le voulurent point abandonner. Helas, que ne dit point ! et que ne pensa point ce malheureux Amant en cét endroit ! Ne suis-je pas, disoit il, le plus infortuné de tous les hommes ? et pourroit-on imaginer un suplice plus espouvantable, que celuy que je suis obligé de soufrir par la rigueur de ma destinée ? Ha ! belle Princesse, faloit-il que les Dieux ne fissent que vous montrer à la Terre ? Et ne vous avoient- ils renduë la plus adorable Personne du monde, que pour vous mettre si tost en estat de n'estre plus adorée ? Helas ! cruelles flames (s'écrioit il en regardant vers la Ville, dont on voyoit les ruines en esloignement) que j'avois de tort de vous accuser de la perte de ma Princesse ! et que je sçavois peu que ce seroit par un Element qui vous est opposé, que ce malheur m'arriveroit ! Toutes impitoyables que vous estiez, vous m'en eussiez au moins laissé les precieuses Cendres : et les miennes eussent pû avoir la gloire d'y estre meslées. Mais ô rigueur de mon Sort ! cette Mer inexorable ne me veut pas seulement rendre ma Princesse morte : et elle se contente de sauver la vie à son Ravisseur et à mon Rival. Encore la cruelle qu'elle est, si elle la luy eust conservée en estat de satisfaire ma haine et ma vangeance, j'aurois quelque legere consolation dans mon infortune : mais la Barbare, en retenant ma Princesse, me rend mon Rival, seulement pour me dire qu'il l'a veuë en un danger presques inevitable ; qu'il l'a veuë entre les bras de la Mort ; et qu'il l'a veuë dans des sentimens pour moy, que je n'osois esperer qu'elle eust. Et apres cela, il perd la parole, et demeure en estat de ne pouvoir servir de soulagement à mon desespoir. Du moins respondit Chrisante, vous avez la consolation de sçavoir qu'il ne l'a pas veuë morte : et que cét Arrest irrevocable, ne vous a pas esté prononcé. Ainsi, adjousta Feraulas, il vous est permis d'esperer, que le mesme fort de Mazare aura esté celuy de la Princesse ; et peut-estre mesme que le sien aura encore esté meilleur. Car comme elle n'aura pas eu le mesme regret de sa mort qu'il a eu de la sienne ; elle aura voulu vivre, au lieu qu'il a voulu mourir : et la douleur n'aura pas fait en elle, ce que le naufrage n'aura pû faire. Ouy, Seigneur, peut-estre qu'elle aura vescu ; et qu'elle vit presentement, sans autre inquietude que celle de se voir sans vous. Ha Chrisante ! ha Feraulas ! s'écria t'il, cette foible esperance, qui malgré moy occupe encore quelque petite place au fonds de mon coeur, est peut-estre un de mes plus grands malheurs : car si je ne l'avois pas, sçachez mes Amis, que sans m'amuser à des cris ; ni à des pleintes, j'aurois desja suivi l'illustre Mandane. Ce n'est donc que par ce foible espoir que je vis encore : Mais quoy que l'esperance soit un grand bien dans la vie ; et qu'elle soit appellée le secours de tous les malheureux ; elle est si debile dans mon esprit, qu'elle ne m'empesche pas de souffrir les mesmes douleurs que je souffrirois, si j'avois veû de mes propres yeux, la perte de ma Princesse. Ouy, Chrisante, je la voy dans la Mer recevoir comme avec chagrin, le secours de son Ravisseur ; je voy cette vague impitoyable, qui l'arrache d'entre les mains de celuy, qui apres l'avoir perduë la vouloit sauver ; et je voy cette mesme vague (ô Dieux quelle veuë et quelle pensée !) la sufoquer, et l'engloutir dans l'abisme. En disant cela, ses larmes redoublerent encore : et il se mit à baiser cette Escharpe qu'il tenoit, avec une tendresse extréme. O vous, s'écria t'il, qui fustes autrefois l'objet de mes desirs, et que je souhaitay comme la plus grande faveur que j'eusse jamais pû pretendre ; qui m'eust dit que je vous eusse deû recevoir avec tant de douleur, j'aurois eu bien de la peine à le croire. Je vous desirois alors, pour me donner le courage de vaincre les Ennemis du Roy, et de la Princesse : et je vous regarde aujourd'huy, afin que vous hastiez ma mort, en redoublant dans mon esprit desesperé, le triste souvenir de Mandane. Mais n'admirez vous pas, dit il à Chrisante, le caprice de ma fortune ? file:///D|/Bureau/HTML/cyrus1.htm (15 sur 173)13/07/2003 16:32:12