Le Grand Cyrus partie 1 le fut à celuy du Prince son fils ; je le pleins infiniment. Car encore que je ne fusse pas si estroitement attaché que le Roy, aux interests de Cyrus, je ne laissay pas de le pleurer, et de le regretter beaucoup. Chrisante pour faire changer de discours, et pour ne respondre pas à celuy-là ; dit à l'affligé Artamene, que peut-estre ceux qu'il avoit envoyez vers Ciaxare, l'auroient desja trouvé fort avancé : estans convenus ensemble lors qu'il estoit parti, qu'il le suivroit bien tost avec toute l'Armée : et Aglatidas, de qui toutes les pensées alloient tousjours à l'amour, et à la melancolie ; adressant la parole au mesme Artamene ; je vous assure, luy dit il, que quoy que je sois sujet de Ciaxare, et par consequent ennemy du Roy d'Assirie ; je ne puis m'empescher de pleindre ce dernier : comme devant estre sans doute le plus malheureux, lors qu'il sçaura cette perte ; s'il est vray qu'elle nous soit arrivée. Car enfin, adjousta t'il, quoy qu'il ne fust pas aimé, il estoit Amant ; et l'Amour est tellement au dessus de tous les sentimens, que la Nature, la Raison, et l'Amitié peuvent donner, qu'il n'y a nulle comparaison d'elle aux autres. Pour moy, adjousta t'il encore, si au lieu de connoistre un Amant haï, comme le Roy d'Assirie, je connoissois un Amant aimé, qui eust souffert cette infortune ; je pense que la seule compassion que j'en aurois, me feroit mourir de douleur. Mais comme la vertu de la Princesse estoit trop severe, pour avoir donné cette matiere d'affliction à personne ; il se faut contenter de pleindre le Roy d'Assirie, qui effectivement est le plus à pleindre. Artamene fut estrangement embarrassé, à respondre à un discours si pressant : mais s'il eut assez de force pour retenir ses larmes, il n'en eut pas assez pour estousser ses souspirs. Il dit donc seulement à Aglatidas, que cette Princesse avoit tant de vertus, que tous ceux qui l'avoient connuë, avoient esté ses adorateurs : et qu'ainsi il faloit pleindre en general, tous ceux qui avoient eu cét honneur : soit qu'ils fussent Medes, Assiriens, ou Persans. Apres cela, pour n'estre plus exposé à une conversation si penible ; il marcha trente pas devant les autres : qui continuerent de s'entretenir, de la douleur qu'ils voyoient en Artamene : et de louër l'affection qu'il témoignoit avoir pour le Roy son Maistre. Car encore que cét accident les eust fort touchez ; comme une partie d'entr'eux n'avoient jamais veû la Princesse, et que pas un n'en avoit esté amoureux ; ils remarquoient facilement, qu'il y avoit une notable difference, de leur affliction à la sienne ; dont ils ne sçavoient pas la cause la plus forte et la plus cachée. Artamene estant arrivé à la Ville, et entré dans sa chambre, congedia tout le monde : et demeura seul à entretenir son desespoir, par le souvenir de toutes ses infortunes. Il fut luy mesme mettre dans sa Cassette, l'Excharpe de sa Princesse, qu'il avoit euë par les mains du miserable Mazare : Mais s'il prit soin de la conserver, ce fut plustost comme un moyen infaillible de redoubler ses desplaisirs, que comme une consolation à ses douleurs : et pour ne negliger rien de tout ce qui pouvoit augmenter ses peines. Il fit mesme servir à son suplice, la memoire de quelques legeres faveurs, qu'il avoit reçeuës de sa Princesse : et cette Ame grande et noble, qui ne faisoit jamais nulle reflexion sur les belles choses qu'elle avoit faites ; et qui ne s'attachoit qu'à l'advenir, pour en faire encore de plus heroïques ; souffrit en cette occasion, que l'image de tant de glorieux Combats ; de tant de Batailles gagnées ; et de tant de Triomphes ; repassast en son imagination, afin de le faire passer en un desespoir plus legitime : et d'avoir du moins quelque excuse, à se donner à luy mesme, de la foiblesse qu'il tesmoignoit en cette rencontre. Car lors qu'il venoit à songer, que tout ce qu'il avoit fait, avoit esté fait pour cette Princesse, qu'il croyoit presque n'estre plus au monde ; le souvenir de toutes ces choses redoubloit encore son affliction : s'il est possible de concevoir quelque redoublement, en une douleur, qui dés le premier moment qu'il l'avoit sentie, avoit esté extréme et insuportable. Il ne pouvoit se resoudre, d'envoyer porter cette triste nouvelle au Roy des Medes : il pouvoit encore moins se resoudre à la luy apprendre de sa propre bouche : et dans cette irresolution, le reste du jour et de la nuit se passerent, sans qu'il peust en façon aucune, se determiner là dessus. Feraulas estant revenu le matin, assura ce Prince, que du moins il n'y avoit nulle autre marque de sa disgrace, que celle qu'il en avoit veuë luy mesme : Mais, reprit Artamene tout d'un coup, n'avez vous point sçeû des nouvelles de Mazare ? et ne seroit il point revenu de la foiblesse où il tomba hier devant moy, et en laquelle je le laissay dans cette Cabane ? Que l'on aille, dit il, le sçavoir ; et si cela est, que l'on me l'amene. Il donna cét ordre avec beaucoup de precipitation ; et sans sçavoir presques ce qu'il vouloit dire : mais à quelque temps de là, on luy vint raporter, que les Pescheurs, entre les mains desquels ce Prince estoit demeuré, avoient dit que Mazare n'estoit point revenu de l'évanoüissement où Artamene l'avoit veû le jour auparavant : et qu'il estoit mort un moment apres, qu'il avoit esté sorti de cette Cabane. La nouvelle de cette mort donna divers sentimens au malheureux Artamene : et admirant la Justice divine en la perte d'un Prince qu'il croyoit tres criminel ; il ne pouvoit s'empescher de murmurer contre file:///D|/Bureau/HTML/cyrus1.htm (17 sur 173)13/07/2003 16:32:12