Le Grand Cyrus partie 1 la rigueur que ces mesmes Dieux avoient euë, pour une Princesse tres innocente. Cependant comme il avoit l'esprit entierement occupé, de la grandeur de sa perte ; il ne fit pas faire une plus exacte perquisition de la mort, et des funeraille de Mazare : et l'image de ce Ravisseur l'affligeoit si fort, qu'il l'esloigna de son souvenir autant qu'il luy fut possible. Comme il agissoit de cette sorte, l'on luy vint dire qu'il y avoit apparence que Ciaxare alloit arriver avec toute son Armée : parce que du haut de la Tour, l'on voyoit s'eslever sur un Vallon, une poussiere si grande et si espaisse, qu'il estoit aisé de juger que ce ne pouvoit estre que la marche de ces Troupes qui la causoit. Artamene fut fort esmeu à ce discours : et il le fut encore davantage, lors qu'il vit arriver Andramias, qui l'assura que Ciaxare seroit à Sinope, tout au plus tard dans une heure. Il voulut pourtant faire quelque effort sur luy : et il y travailla avec tant de succés, qu'il espera avoir assez de pouvoir sur sa douleur, pour en cacher une partie. Il commanda à tous les Chefs de ces Troupes, de les faire mettre en bataille : et il monta luy mesme à cheval, suivy de Thrasibule, d'Hidaspe, de Chrisante, d'Araspe, et d'Aglatidas, pour aller au devant du Roy ; qui à la veuë de Sinope, s'estoit détaché de son Armée : et marchoit accompagnée du Roy de Phrigie ; du Roy d'Hircanie ; de Persode Prince des Cadusiens ; du Prince des Paphlagoniens ; de celuy de Licaonie ; de Gobrias ; de Gadate ; de Thimocrate ; de Philocles ; et d'Artabase ; de Madate ; et d'Adusius, Persans, et les premiers d'entre les Homotimes : aussi bien que l'estoient Hidaspe et Chrisante, qui accompagnoient Artamene. Jamais entre-veuë ne fut si triste que celle-là : Ciaxare voyant de loing sa ville détruite, ne pût s'empescher d'en soupirer : et Artamene voyant Ciaxare, auquel il alloit donner un si grand redoublement de douleur, par la funeste nouvelle du naufrage de la Princesse sa fille ; ne pouvoit quasi se resoudre d'avancer vers luy. Cependant, quelque lentement qu'il marchast, comme le Roy venoit assez viste, ils furent bien tost à trente pas l'un de l'autre : Artamene et tous ceux qui l'accompagnoient, descendirent de cheval, et furent à pied à la rencontre du Roy, qui sembla se haster d'aller droit à luy. Colère de Ciaxare et arrestation de Cyrus Ce Prince malgrè sa douleur, luy presenta Thrasibule : et Ciaxare leur ayant tendu la main à tous, leur commanda de remonter à cheval ; et ayant appellé Artamene aupres de luy, il se mit à luy parler de son malheur en general ; et à exagerer combien il avoit esté surpris d'apprendre que Mazare eust enlevé sa fille. Seigneur, interrompit tristement Artamene, vous le serez bien encore davantage, lors que vous sçaurez que Mazare n'est plus : et que peut-estre. . . . . . A ces mots Artamene s'arresta : et ne pût jamais achever de dire, ce qu'il vouloit luy apprendre. Ciaxare le regardant alors tout troublé ; que voulez vous dire Artamene, luy demanda t'il, et quel nouveau malheur avez vous à m'anoncer ? Seigneur, luy respondit il, ce malheur est si grand, que je n'oserois presques vous le faire sçavoir : et je demande du moins à vostre Majesté qu'elle se donne la patience d'estre à Sinope, pour en estre pleinement instruite : afin que la douleur qu'il vous causera, puisse avoir moins de tesmoins dans vostre Cabinet, que vous n'en auriez à la campagne. Ciaxare estrangement surpris, d'un discours si obscur pour luy, regardoit Artamene : et luy voyant sur le visage et dans les yeux, toutes les marques d'une tristesse excessive ; il n'osoit plus le presser de luy apprendre ce qu'il mouroit d'envie de sçavoir, de peur de trouver ce qu'il craignoit de rencontrer : et d'estre contraint en effet de donner des marques de foiblesse, devant tant d'illustres Personnes. Il cherchoit donc dans les yeux d'Artamene, et dans sa propre raison, à devenir ce qu'il ignoroit : et par son silence, et par celuy d'Artamene, il estoit aisé de juger, que l'un craignoit de dire ce qu'il sçavoit, et que l'autre apprehendoit d'aprendre ce qu'il ignoroit. Cependant ceux qui estoient venus avec Artamene s'estans meslez avec ceux qui avoient suivi Ciaxare ; leur racontoient ce qui leur estoit advenu ; et cette funeste nouvelle qu'ils leur aprenoient, faisoit eslever parmi eux un murmure plaintif d'exclamations et d'estonnement ; qui raisonnant aux oreilles de Ciaxare, luy disoit encore, qu'il y avoit quelque chose d'estrange à sçavoir. Mais comme ils estoient alors assez prés de Sinope, toutes les Troupes qu'Artamene avoit amenées, suivant l'ordre qu'elles en avoient reçeu ; ayant paru sous les armes, et s'estans rangées en haye pour laisser passer le Roy ; il ne voulut pas devant tant de monde, satisfaire sa curiosité. Il marcha donc sans parler, jusques à tant qu'il fust arrivé au Chasteau : car pour son Armée, il avoit ordonné qu'elle camperoit dans une grande plaine, qui est entre un Vallon et la Ville : et qui estoit assez file:///D|/Bureau/HTML/cyrus1.htm (18 sur 173)13/07/2003 16:32:12