Le Grand Cyrus partie 1 spacieuse pour l'y loger commodément, quoy qu'elle fust composée de plus de cent mille Combatans. Le Roy ne fut pas plustost descendu de cheval, qu'Artamene le conduisit dans le plus bel Apartement du Chasteau : et il n'y fut pas si tost, qu'estant entré seul avec luy dans son Cabinet ; Et bien mon cher Artamene, luy dit il, que m'aprendrez vous de plus estrange, que ce que je sçay desja ? Cette demande où Artamene s'estoit bien attendu, ne laissa pas de le surprendre : et se voyant sans autre tesmoin que le Roy ; et forcé de luy faire sçavoir le naufrage de la Princesse ; il ne pût empescher que ses larmes ne previnssent son discours. Ciaxare les voyant couler, que me disent vos pleurs, Artamene, s'écria t'il, et auriez vous la mort de ma fille à m'annoncer ? Alors Artamene faisant un effort extraordinaire sur son esprit, luy dit en peu de mots, tout ce qu'il sçavoit du naufrage de Mandane. Cette nouvelle affligea si fort Ciaxare, que l'on peut dire que jamais Pere n'avoit tesmoigné plus de tendresse ni plus de douleur. Artamene voyant qu'il luy estoit permis de pleurer, en un temps où l'affliction de Ciaxare l'empeschoit de prendre garde à la sienne ; s'y abandonna de telle sorte, que jamais l'on n'avoit rien veû de si pitoyable. Il ne disoit rien à Ciaxare pour le consoler ; et Ciaxare ne laissoit pourtant pas de trouver de la consolation aux pleurs d'Artamene. Fut il jamais, disoit ce malheureux Pere, un Prince plus affligé que moy ? Mais, adjoustoit il, ne devois-je pas aussi prevoir mon malheur ? et tant d'Oracles qui avoient asseuré à Astiage que le Sceptre qu'il portoit, et qu'il m'a laissé, passeroit bien tost en des mains estrangeres ; Ne devoient ils pas m'avoir appris, puis que je n'avois qu'une fille unique, que je la perdrois infailliblement ? Helas ! Astiage s'amusoit à chercher les voyes de perdre celuy qui devoit luy arracher la Couronne ; et il ne songeoit pas à conserver celle qui la devoit perdre en perdant la vie. Car n'en doutons point, dit il à Artamene, Mandane n'est plus : et l'esperance est un bien, où nous ne devons plus pretendre de part. Mais du moins, adjousta t'il, cette Innocente Princesse ne demeurera t'elle pas sans vangeance : et les Dieux qui ont fait perir Mazare, l'un de ses Ravisseurs ; nous enseignent ce que nous devons faire du Roy d'Assirie. Il mourra, poursuivoit il, il mourra : et comme il est cause que la Race de l'illustre Dejoce est esteinte en la personne de ma fille, il faut que celle des Rois d'Assirie le soit en la sienne : et les Dieux ; non, mesme les Dieux, ne sçauroient l'empescher de mourir ; ny le dérober à ma colere. Artamene surpris de ce discours, et regardant le Roy ; Seigneur, luy dit il, n'avez vous pas vû celuy que je vous ay envoyé, pour vous advertir de la suite de ce Prince ? Que dites vous, Artamene, que ce Prince ?. . . . . . reprit brusquement le Roy. Je dis, Seigneur, luy respondit il, que j'ay envoyé advertir vostre Majesté de sa suite. Quoy, interrompit Ciaxare, le Roy d'Assirie n'est plus en mon pouvoir ! Le Roy d'Assirie est en liberté ! Ha ! non, non, cela n'est pas possible ; et je ne le croiray pas facilement. Je ne croiray, dis-je, pas facilement, qu'Artamene ait laissé eschaper un Prisonnier de cette importance. Il est pourtant vray, respondit froidement Artamene, que mon malheur et : sa bonne fortune ont voulu qu'il s'échapast, malgré les Gardes que je luy avois donnez : Mais, Seigneur, que cela ne vous inquiete pas tant : car s'il m'estoit aussi aisé de vous faire revoir la Princesse, qu'il me sera peut-estre facile de donner la mort à cét Ennemy de vostre Majesté ; vostre douleur ne seroit pas sans remede. Ciaxare ne trouva pourtant pas grande consolation en ce discours : et quoy qu'il aimast Artamene ; qu'il luy eust des obligations infinies ; et qu'il n'eust jamais eu le moindre soubçon de sa fidelité ; neantmoins en cette rencontre, il ne pouvoit concevoir que le Roy d'Assirie se fust sauvé, sans qu'Artamene fust au moins coupable de peu de soin, et de beaucoup d'imprudence, quoy qu'il n'eust jamais veû nulle de ses actions, qui luy peust donner un raisonnable sujet, de l'accuser de semblables choses. Il sortit donc de ce Cabinet, sans luy parler davantage : et trouvant dans sa Chambre tous les Princes, et tous les Chefs qui l'avoient suivi ; il leur parla de son affliction avec assez de constance, quoy qu'avec beaucoup de douleur : et chacun selon l'obligation qu'il y avoit, luy tesmoigna la part qu'il prenoit en sa perte : luy disant pourtant tousjours, que tant que le corps de la Princesse ne paroistroit point, il faloit conserver quelque esperance. Pour Artamene, il passa un moment apres dans une autre Chambre : où tous ces Princes qui avoient suivi Ciaxare, furent les uns apres les autres luy faire compliment, et le visiter : car ils le regardoient bien plus, comme leur Protecteur et leur Maistre, que non pas le Roy qu'il servoit. Cependant Ciaxare qui vouloit estre pleinement esclairci, de tout ce qui s'estoit passé en la suite du Roy d'Assirie ; sçeut qu'il avoit esté mis à la garde d'Araspe, qui estoit un des hommes du monde qu'Artamene aimoit le plus : toute-fois quoy qu'il pûst faire il ne pût jamais rien descouvrir, qui luy fist voir que personne des siens eust facilité l'evasion du Roy d'Assirie. Mais parmi ceux qui estoient venus avec le Roy, il y avoit un Amy particulier d'Aribée ; qui sçachant sa mort, en conçeut beaucoup de ressentiment contre Artamene. Si file:///D|/Bureau/HTML/cyrus1.htm (19 sur 173)13/07/2003 16:32:12