Le Grand Cyrus partie 1 bien qu'ayant sçeu fortuitement que le Roy d'Assirie luy avoit escrit, il fut en advertir Ciaxare ; qui au mesme instant envoya querir Artamene. Il ne le vit pas plustost, qu'il luy demanda d'un ton, fort aigre, pourquoy il ne luy avoit pas dit que le Roy d'Assirie luy avoit escrit depuis sa fuite ? Artamene surpris de cette demande, parce que la Lettre dont il s'agissoit (parlant de l'amour du Roy d'Assirie et de la sienne) n'estoit pas de nature à estre monstrée ; fut un moment sans respondre : en suitte dequoy il dit à Ciaxare, qu'il avoit eu de si fascheuses choses à luy apprendre tout à la fois ; qu'il n'estoit pas fort estrange, qu'il en eust oublié une de si peu d'importance que celle-là : puis qu'il estoit vray que le Roy d'Assirie ne luy avoit escrit, que pour luy mander qu'il n'avoit rien crû faire contre la generosité, en s'échapant de ses Gardes, puis qu'on ne l'avoit pas laissé sur sa foy. Nous sçaurons plus precisément, luy respondit Ciaxare, ce que le Roy d'Assirie vous a mandé en nous monstrant son Billet, que nous ne l'aprenons par vos paroles. Seigneur, repliqua Artamene, je voudrois bien pouvoir satisfaire vostre Majesté : mais ayant esté tout un jour le long de la Côste, à chercher des nouvelles de la Princesse, j'ay eu le malheur de perdre les Tablettes que j'avois reçeuës : et je m'imagine qu'elles pourront bien estre tombées dans la Mer. Cette responce faite avec assez de froideur surprit Ciaxare : et l'obligea de dire à Artamene contre sa coustume, avec beaucoup de rudesse ; que ce cas fortuit luy sembloit estrange : et que sa procedure en cette rencontre, ne la luy sembloit pas moins. Mais comme Artamene avoit un grand respect pour le Pere de sa Princesse ; et qu'il sçavoit bien qu'en effet, Ciaxare avoit raison de trouver quelque chose à dire en sa conduite ; il se teût et se retira, voyant que le Roy luy avoit tourné le dos sans vouloir plus l'escouter. Le soir estant venu, une partie des Chefs s'en retournerent au Camp ; et tous les Princes furent logez dans le Chasteau, et dans les plus belles maisons, que la flame eust espargnées. Ciaxare passa la nuit avec beaucoup d'inquietude : et Artamene fut encore bien plus malheureux que luy ; qui du moins n'avoit que sa propre douleur à souffrir : au lieu que ce Prince en souffrant la sienne, partageoit encore celle du Roy, malgré ses soubçons et sa rudesse. Mais comme il arrive assez souvent que la Fortune ne garde nulle mesure, ny en ses faveurs, ny en ses disgraces ; et qu'elle comble de felicité, ou accable de malheur, ceux qu'elle regarde avec amour ou avec haine ; l'affligé Artamene, de qui la constance succomboit presque en cette occasion ; se vit encore attaqué par un endroit assez sensible, puis qu'il s'agissoit de son honneur. Le lendemain au matin, Ciaxare luy envoya dire qu'il se rendist en diligence dans son Cabinet ; comme il fut aupres de luy, il le trouva avec un visage où la colere paroissoit plus que la douleur : et qui luy fit bien connoistre, qu'infailliblement il alloit tomber dans quelque nouvelle infortune. Mais comme l'estat où il estoit, luy donnoit beaucoup d'indifference pour la vie ; il ne se troubla point, voyant Ciaxare si troublé : et luy demanda avec beaucoup de respect, s'il faloit faire quelque chose pour son service ? Ciaxare sans luy respondre, luy donna des Tablettes qu'il tenoit : et apres l'avoir regardé avec des yeux remplis de fureur ; Voyez Artamene, luy dit il, voyez s'il y a quelque apparence que vous soyez innocent de la suite du Roy d'Assirie : et expliquez moy silabe pour silabe cét enigme obscur que je ne puis deviner. Artamene fut d'abord estrangement surpris : parce qu'il luy sembla que ces Tablettes estoint celles qu'il pensoit que le Roy d'Assirie eust reçeuës ; et qu'il avoit données à celuy qui luy avoit apporté les siennes. Neantmoins pour s'éclaircir pleinement de la chose, il les ouvrit ; et y relût les mesmes paroles qu'il y avoit escrites. Mais en les relisant, il changea de couleur plusieurs fois ; et fit durer cette lecture le plus long temps qu'il luy fut possible ; cherchant à prendre sa resolution, sur une chose si difficile à resoudre. Car il voyoit bien que s'il n'expliquoit pas son Billet, son honneur souffriroit sans doute une tache : puis qu'il paroistroit perfide à son Maistre, ayant eu une intelligence secrette avec son Ennemy : et d'autre costé, il voyoit qu'en descouvrant son amour, il exposoit en quelque façon la reputation de sa Princesse, qui luy estoit encore plus precieuse que la sienne. Cependant Ciaxare, qui ne penetroit pas dans le fonds de son coeur, s'ennuyant de son silence ; que cherchez vous Artamene, luy dit il, dans ce Billet ? ce n'est pas là que vous pouvez trouver vostre excuse : et les marques de vostre crime ne sçauroient servir à faire paroistre vostre innocence. Parlez donc, vous dis-je ; et expliquez moy ce que vous avez escrit, depuis le premier mot jusques au dernier. En disant cela, il reprit les Tablettes des mains d'Artamene, qui regardant le Roy avec beaucoup de respect ; Seigneur, luy dit il, si je pouvois vous montrer le billet que j'ay reçeu du Roy d'Assirie, vostre Majesté verroit bien, que je ne suis pas si criminel qu'elle le croit : et que les conventions que nous avons ensemble, ne sont pas de la nature que vous les imaginez. Si elles ne sont pas criminelles, respondit Ciaxare, vous n'avez qu'à me les apprendre : n'ignorant pas qu'il y a sans doute quelque secret sentiment dans le fonds de mon coeur, qui ne file:///D|/Bureau/HTML/cyrus1.htm (20 sur 173)13/07/2003 16:32:12