Le Grand Cyrus partie 1 se tournant vers Chrisante) entre les mains d'un Prince, à la teste de cent mille hommes, et que ce Prince la voulust sacrifier à mes yeux, je ne serois pas si desesperé, j'aurois un ennemy que je pourrois du moins attaquer, si je ne le pouvois vaincre : Mais icy, je n'ay rien à faire, qu'à m'aller jetter dans ces mesmes flames, qui ont desja confumé ma Princesse. En disant cela, il s'avançoit encore davantage : et apres avoir esté quelque temps sans parler ; Ha Ciel ! (s'ecrioit il tout d'un coup, voyant qu'il n'y avoit que Chrisante qui le peust entendre) ne seroit-je point la cause de la mort de ma Princesse ? n'est-ce point pour l'amour de moy qu'elle a elle mesme embrazé cette Ville, plustost que de manquer de fidelité, au malheureux Artamene ? Ha Dieu ! s'il est ainsi, je suis digne de mon infortune ; et je merite tous les maux que je ressens. Chrisante voyant qu'il avoit cessé de parler, s'approcha de luy, pour tascher de luy donner quelque legere consolation : mais Artamene marchant tousjours ; et le regardant d'une maniere capable de donner de la compassion aux personnes les plus insensibles ; Non, non, luy dit-il, Chrisante, ce malheur n'est pas de ceux dont l'on peut estre consolé : et je n'ay qu'une voye à prendre, que je suivray sans doute bien tost. Ouy, Chrisante, j'auray du moins cette funeste consolation, que ce mesme feu qui a peut-estre bruslé ma Maistresse et mon Rival ; qui a confondu l'innocence et le crime ; et qui m'a privé tout ensemble, de l'objet de ma haine, et de celuy de mon amour, achevera encore de me détruire ; et meslera du moins mes Cendres, avec celles de mon adorable Princesse. en disant cela, il sembloit avoir toutes les marques d'un prochain desespoir sur le visage : sa voix avoit quelque chose de triste et de funeste : et toutes ses actions tesmoignoient assez, qu'il se preparoit à mourir. Cependant la pointe du jour venant à paroistre ; et l'approche du Soleil, diminuant quelque chose, de l'horreur de cét embrazement ; parce que la Mer, la Plaine, et les Montagnes, reprenoient une partie de leurs couleurs naturelles ; la face de cette funeste Scene, changea en quelque façon : et Feraulas vit presque en mesme temps deux choses, qu'il fit remarquer au mesme instant à son cher Maistre. Seigneur, luy dit-il, ne voyez vous pas en Mer, une Galere qui vogue, et qui semble faire beaucoup d'effort pour s'esloigner de cette malheureuse Ville ? Et ne voyez vous pas encore, comme quoy il semble que l'on ne songe qu'à esteindre le feu qui s'approche de cette grosse Tour, qui est sur le portail du Chasteau, et que l'on abandonne tout le reste pour la conserver ! Je voy l'un et l'autre, respondit Artamene ; Je ne sçay, adjousta Chrisante, si ce n'est point une marque asseurée, que la Princesse n'a pas encore pery : puis qu'il peut estre, qu'elle est dans cette Galere, ou dans cette Tour, que les flames n'ont pas encore embrazée. Helas ! (s'escria tout d'un coup Artamene) s'il estoit ainsi, que je serois heureux, de pouvoir conserver quelque espoir ! Il s'approcha alors beaucoup plus prés de la Ville : et voyant effectivement qu'il y avoit plusieurs personnes qui taschoient d'empescher le feu d'approcher de cette Tour ; Travaille (s'écria t'il en redoublant sa course) trop heureux Rival ; travaille pour le salut de nostre Princesse : et sois asseuré si tu la peux sauver de ce peril, que je te pardonne tous les maux que tu m'as faits. Ce Prince ne demeuroit pourtant pas long temps dans un mesme sentiment : tantost il faisoit des voeux pour sa Maistresse : tantost des imprecations contre son Rival. Un moment apres, regardant cette Galere, et luy semblant y remarquer des femmes sur la poupe, il s'en resjoüissoit beaucoup : puis venant à songer que quand ce seroit sa Maistresse, elle seroit tousjours perduë pour luy ; il rentroit dans son desespoir. Apres venant à considerer cette Tour, que la Mer et les flames environnoient de toutes parts ; et venant à penser, que peut-estre sa Princesse estoit enfermée en ce lieu-là, il changeoit de sentimens tout d'un coup ; et ces mesmes Troupes, qui estoient venuës pour détruire cette Ville, eurent commandement d'aider à en esteindre le feu. Artamene donc ne pouvant se resoudre de retourner sur ses pas, envoya Feraulas commander aux siens, de marcher en diligence, et de le suivre. Mais en approchant de Sinope, l'on sentoit un air si chaud et si embrazé ; et l'on entendoit un bruit si espouvantable, que tout autre qu'Artamene n'auroit jamais entrepris d'y aller. Le mugissement de la Mer ; le murmure du Vent ; le petillement de la flame, joint au bruit affreux, de la chutte des maisons entieres qui crouloient de fonds en comble ; et à toutes les plaintes, et à tous les cris que jettoient les mourants ; ou ceux que la peur d'une mort prochaine faisoit crier, causoient une confusion espouventable. De tous ces mugissemens, dis-je ; de tous ces murmures ; de tous ces cris ; de toutes ces chuttes de maisons, et de toutes ces plaintes, il se formoit un bruit si lugubre et si esclatant, que tous les Echos des Montagnes y respondans encore, en formoient une harmonie tres-funeste, s'il est permis d'appeller harmonie, un retentissement si rempli de confusion. Cela n'empescha pourtant pas Artamene de se faire entendre : car estant desja assez proche de la Ville, en un lieu où tous les siens l'avoient joint ; il se tourna vers eux, et leur dit avec une affection inconcevable ; Imaginez vous, mes file:///D|/Bureau/HTML/cyrus1.htm (3 sur 173)13/07/2003 16:32:12