Le Grand Cyrus partie 1 Compagnons, que c'est moy qui suis dans cette Tour ; que c'est moy qui suis dans la necessité de perir, parmy les eaux, ou parmy les flames ; et que c'est à moy enfin à qui vous allez sauver la vie. Ou pour mieux dire encore, imaginez vous que vostre Roy ; vostre Princesse ; vos Femmes ; vos Peres ; et vos Enfans ; sont enfermez dans cette Tour avec Artamene, et y vont perir ; afin qu'estans poussez par des sentimens si tendres, vous agissiez avec plus de courage, et avec plus de diligence. Il faut, mes Compagnons, il faut aujourd'huy faire, ce qui n'a peut-estre jamais esté fait : il faut perdre nos ennemis, et les sauver ; il faut les combattre d'une main, et les secourir de l'autre ; et bref il faut faire toutes choses pour conserver une Princesse, qui doit estre vostre Reine ; et qui merite de l'estre de toute la Terre. A ces mots, Chrisante, Araspe, Aglatidas, et Hidaspe, qui commandoient chacun mille hommes en cette occasion ; s'approcherent d'Artamene, pour recevoir ses derniers ordres : et Feraulas qui estoit l'Agent de l'entreprise, et celuy qui avoit intelligence dans Sinope ; et auquel Artucas avoit promis de livrer une des Portes de la Ville cette mesme nuit ; fut aussi de ce conseil : et ce fut luy qui dit qu'il ne faloit pas laisser d'agir de la mesme façon, que si cette Ville n'estoit pas embrazée : et qu'ainsi sans chercher d'autres expediens, il faloit sans doute marcher droit à la porte du Temple de Mars. Parce, dit il, que si par hazard cét embrazement n'a pas encore mis toute la Ville en confusion ; par tout autre lieu que par celuy-là, nous pourrions trouver de la resistance : la coustume estant mesme en de semblables rencontres, de redoubler la Garde, de peur que l'incendie ne soit un artifice des ennemis, où au contraire nous sommes assurez de n'en trouver aucune par cét endroit : car si Artucas et les siens n'ont pas encore esté devorez par les flames, nous les trouverons prests à nous aider : et s'ils ont peri, aparemment nous ne trouverons là personne quï s'oppose à nostre passage. Cét aduis ayant esté trouvé raisonnable, ils resolurent apres, par quel lieu ils pourroient le plus commodément gagner le pied de la Tour : mais Aglatidas leur fit remarquer, que l'embrazement commençoit de diminuer du costé du Port ; parce que des Galeres et des Vaisseaux estans plustost consumez que des maisons, il faloit sans doute que le feu s'y esteignist plus tost qu'ailleurs ; et qu'ainsi il faloit prendre tout le long du Port ; afin de n'avoir presque plus à se garantir que d'un costé, et que par ce moyen, ils pourroient arriver avec assez de facilité au pied de la Tour. Artamene qui souhaittoit impatiemment d'y estre, ne voulut contredire à rien, de peur de les arrester davantage ; et se mit à marcher le premier ; commandant seulement aux siens, de crier par toute la Ville, qu'ils ne venoient que pour sauver la Princesse : afin que ce peuple entendant un Nom qui luy estoit si cher et si precieux, peust faire moins de resistance ; et mettre moins d'obstacle à leur dessein. Ils marcherent donc ; et Feraulas conduisant Artamene, (qui avoit mis pied à terre, aussi bien que tous ses Capitaines) à la porte du Temple de Mars ; ils y trouverent celuy qu'ils cherchoient : qui desesperé qu'il estoit, qu'Artamene devst arriver ; (car la veüe de ce funeste embrazement, l'avoit beaucoup retardé) commençoit de ne songer plus qu'à se mettre à couvert de la violence des flames. Mais il n'eut pas plustost veû ceux qu'il attendoit, qu'il fit ouvrir la porte, où il estoit peu accompagné : parce que malgré luy, une grande partie des siens estoit allé voir en quel estat estoient leurs Maisons ; leurs Peres ; leurs Enfans ; ou leurs Femmes. Ils n'eurent donc aucune peine à se rendre Maistres de cette porte : mais ils en eurent bien davantage, à se garantir du feu qu'ils trouvoient par tout. Artamene en marchant dans ces Ruës toutes enflamées, fut plusieurs fois exposé, à se voir accabler par la chutte des maisons : et si cét objet luy avoit semblé terrible par le dehors de la Ville, il luy sembla espouvantable par le dedans. Ils marchoient l'espée à la main droite, et le bouclier à la gauche ; dont ils eurent plus de besoin de se servir pour repousser les charbons ardants qui tomboient de toutes parts sur leurs testes ; que pour recevoir les traits de leurs Ennemis. Ce n'est pas que d'abord l'arrivée d'Artamene ne redoublast les cris et l'estonnement, parmy ce qui restoit de personnes vivantes dans cette Ville : et que ce Heros n'en vist plusieurs, qui estans occupez à esteindre le feu de leurs propres logemens, ou à sauver leurs familles ; quittoient cét office charitable, pour tascher de se rassembler, et de faire quelque resistance. Mais ils ne trouvoient dans ce grand desordre, ny armes, ny Chefs, ny compagnons capables de s'opposer à son passage. L'on voyoit en un lieu des gens qui abatoient leurs propres maisons, pour sauver celles de leurs voisins : l'on en voyoit d'autres qui jettoient ce qu'ils avoient de plus precieux par les fenestres, pour tascher d'en sauver au moins quelque chose : l'on voyoit des Meres, qui sans se soucier ny de meubles, ny de maisons, s'enfuyoient les cheveux desja à demy bruslez, avec leurs enfans seulement entre les bras : Enfin l'on voyoit des choses si pitoyables et si terribles tout ensemble ; que si Artamene n'eust pas esté emporté comme il l'estoit, par une passion violente ; il se fust arresté à chaque pas pour les file:///D|/Bureau/HTML/cyrus1.htm (4 sur 173)13/07/2003 16:32:12