Le Grand Cyrus partie 1 secourir, tant ils estoient dignes de compassion, et tant il estoit sensible à leur misere. Cependant il avançoit tousjours : mais le bruit de sa venuë l'ayant pourtant devancé ; Aribée Gouverneur de Sinope, qui faisoit tous ses efforts, pour empescher que le feu ne gagnast la Tour, et qui occupoit en ce lieu, la meilleure partie de ce qui restoit de peuple et de soldats dans la Ville ; ne le sçeut pas plustost, qu'il se trouva dans une inquietude inconcevable ; et dans une incertitude, qu'on ne sçauroit exprimer : ne sçachant s'il devoit aller combattre, ou s'il devoit continuer de faire esteindre ce feu. Car, disoit il, que servira au Roy d'Assirie que je vainque, s'il est vaincu par les flames ? Mais que me servira t'il aussi à moy mesme d'esteindre ce feu, adjoustoit il, si je suis pris par Artamene ? moy qui suis son plus grand ennemy ; moy qui ay trahy le Roy mon Maistre ; moy qui ay servi à l'enlevement de la Princesse sa Fille ; et qui ay fait revolter ses Peuples. Ha ! non non, combattons Artamene, qui est aussi redoutable au Roy d'Assirie, que le feu et que les flames : et songeons à nostre conservation, en pensant à celle d'autruy. En disant cela, il commanda à ceux qui esteignoient le feu, et qui par des machines dont ils se servoient, taschoient de luy couper chemin, en abatant les maisons voisines, où il s'estoit attaché ; de prendre des armes s'ils en avoient ; d'en aller chercher en diligence s'ils n'en avoient point ; ou de s'en faire de tout ce qu'ils rencontreroient ; et mesme du feu et des flames ; plustost que de ne le secourir pas. Apres donc qu'Artamene eut traversé une partie de cette Ville embrazée ; et qu'ayant marché tout le long du Port, il fut arrivé proche de la Tour ; il fut bien surpris de voir que personne ne travailloit plus pour esteindre le feu, et qu'Aribée s'avançoit pour le combattre. Quoy, s'écria-t'il, je viens pour esteindre ces flames, et ce sera moy qui empescheray qu'on ne les estéigne ? Ha ! non non, mes Compagnons, il ne le faut pas. En disant cela, il commanda à une partie de siens, de songer à faire ce que les autres ne faisoient plus ; pendant qu'il combatroit ceux qui sembloient en avoir envie. Comme il estoit en cét estat, et qu'il s'avançoit vers le gros, à la teste duquel estoit Aribée ; il leva les yeux vers le haut de la Tour : et y reconnut le Roy d'Assirie : qui par une action toute desesperée, sembloit n'avoir autre dessein, que de choisir s'il se jetteroit dans les flames ou dans la Mer. Cette veuë ayant encore confirmé Artamene, dans la croyance que sa Maistresse n'estoit pas morte ; il redoubla les commandemens qu'il avoit desja faits, d'esteindre ce feu ; et marcha teste baissée vers ses Ennemis, qui venoient à luy, avec assez de resolution. Comme il fut proche d'eux, et qu'il reconnut distinctement qui estoit leur Chef ; Aribée, luy cria t'il, je ne viens pas aujourd'huy pour te combatre, et pour te punir : et il ne tiendra qu'à toy, que je n'obtienne ton pardon du Roy des Medes, si tu veux mettre les armes bas ; et m'ayder à, sauver ta Princesse et la mienne. Mais Aribée, qui croyoit son crime trop grand, pour luy pouvoir estre jamais pardonné ; et qui de plus, avoit appris une chose, qu'Artamene ignoroit encore ; au lieu de luy respondre, s'eslança vers luy l'espée haute, et commença un combat au milieu des feux et des flames ; qui n'estoit pas moins redoutable, par ce qui tomboit d'enhaut, que pour les coups qui partoient de la main d'un Ennemy invincible ; que l'Amour, la Haine, et la Vangeance, rendoient encore plus vaillant qu'à 1'accoustumée ; quoy qu'il fust toujours le plus vaillant homme du monde. Hidaspe, Artucas, Chrisante, Aglatidas, et Araspe ; se rangerent aupres d'Artamene : car pour Feraulas, ce fut luy qui eut ordre de faire continuer d'esteindre le feu. Ainsi le Roy d'Assirie voyoit tout à la fois, travailler à son falut et à sa perte ; vouloir sauver sa vie, et vaincre celuy qui l'avoit servi. Encore (disoit Artamene en luy mesme, et en jettant les yeux vers le haut de la Tour, où il voyoit tousjours son Rival) si ma Princesse regardoit ce que je fais pour la sauver, je serois bien moins malheureux : et si j'estois asseuré qu'elle vist ma mort, ou ma victoire, je n'aurois presque rien à desirer. Cependant la meslée se commence, et se continuë fort chaudement : et sans qu'Artamene cesse de fraper, il ne laisse pas d'avoir soin de voir si Feraulas fait bien executer ses ordres. Enfin dans cette confusion, il s'attache en un combat particulier contre Aribée, qui fut dangereux et opiniastré : car quoy que ce traistre eust en teste le plus redoutable des hommes, le desespoir faisoit en luy, ce que la valeur n'auroit pû faire en un autre. Neantmoins comme au contraire, Artamene combatoit alors avec espoir ; et qu'il estoit persuadé, qu'il n'y avoit plus que quelques murailles entre sa Princesse et luy ; il fit des choses prodigieuses. Il tua tout ce qui s'opposa à son passage ; et blessa Aribée en tant de lieux, qu'enfin il se seroit sans doute resolu de se rendre ; si tout d'un coup une maison enflamée ne fust tombée si prés du lieu où ils combatoient, qu'Aribée en fut enseveli sous ses ruines : et l'on creut qu'il avoit peri par le fer et par le feu, pour expier une rebellion criminelle, qui meritoit tous les deux ensemble. Artamene qui n'avoit pû estre blessé par son Ennemy, pensa estre accablé en cette rencontre, et se vit tout couvert de flame ; tout environné de charbons et de fumée : et s'il n'eust mis son Bouclier sur file:///D|/Bureau/HTML/cyrus1.htm (5 sur 173)13/07/2003 16:32:12