Le Grand Cyrus partie 1 sa teste, il estoit infailliblement perdu. Toute sa Cotte d'armes en fut à demy bruslée : et peu s'en falut qu'il ne perist en cette rencontre. La chutte de cette maison, fit qu'il s'esleva en l'air une poussiere si espaisse : une fumée si noire ; et une nuée d'estincelles si bruslantes, que l'on fut quelque temps sans pouvoir rien voir de tout ce qui se passoit en ce lieu là. Ce qui surprit Artamene en cette occasion, fut que lors que cette maison embrazée tomba, Aribée, qui à ce qu'on pouvoit juger par son action, avoit eu dessein de se rendre, s'estoit reculé de quatre ou cinq pas : si bien que par là, il sembloit estre allé au devant de ce qui le devoit accabler : et par un miracle de la Fortune, Artamene, qui le touchoit de la pointe de son espée, ne se trouva pourtant point engagé sous ces perilleuses ruines. Apres cét accident, tout ce qui le secondoit s'estonna et s'enfuit : et nostre Heros faisant crier ; et leur criant luy mesme, qu'il venoit pour les servir, et qu'il ne vouloit point leur perte ; les obligea enfin à jetter leurs armes ; et à se fier en la parole d'un Vainqueur, qui'ls avoient autre-fois tant aymé. ainsi en fort de peu temps, tout le monde se trouva d'un mesme Parti : et Artamene encourageant les siens, et leur monstrant par son exemple, ce qu'il faloit faire pour esteindre le feu ; ce Peuple fut ravi de voir de charitables Ennemis. Ils abatirent des maisons avec des Beliers : ils employerent leurs Boucliers à jetter de l'eau, sur tout ce qui tomboit d'enflamé, de peur que cela n'embrazast ce qui ne l'estoit pas encore ; et enfin ils n'oublierent rien, de tout ce qu'ils jugerent qui pouvoit servir. Tous les Chefs firent des miracles en cette journée : mais entre les autres, Aglatidas sembloit avoir eu dessein, de chercher plustost la mort que la victoire ; tant il s'estoit courageusement exposé à la fureur des flames, et au desespoir des Ennnemis. Cependant Artamene voyant que le feu commençoit de diminuër, se resjoüissoit en luy mesme, dans l'esperance qu'il avoit, de revoir bien tost sa chere Princesse. Elle est, disoit-il en son coeur, dans cette Tour : et si je ne suis le plus malheureux des hommes, je verray dans quelques moments, cette adorable personne : et j'entendray peut-estre sa belle bouche, m'appeller son Liberateur. Enfin, disoit il encore, je verray bien tost l'objet de ma haine et de mon amour. En effet, le feu ayant esté esteint de ce costé là ; et estant arrivé à la porte de la Tour, qui commençoit desja de s'embrazer, il envoya s'asseurer de toutes les portes de la Ville ; mais comme il voulut faire enfoncer celle de cette Tour, ne sçachant s'il n'y trouveroit point encore quelque resistance ; il vit un homme de fort bonne mine qui la luy ouvrit ; et qui au lieu de luy en disputer l'entrée, comme il eust fait, s'il ne l'eust pas reconnu auparavant du haut des creneaux ; luy dit avec beaucoup de respect, Seigneur, si le Nom de Thrasibule n'est pas sorti de vostre mémoire, accordez luy la grace d'employer vostre authorité, pour empescher la perte d'une illustre Personne, que le desespoir va sans doute faire perir, sur le haut de cette Tour, si vous ne m'aydez à la secourir promptement. Artamene, qui creut que c'estoit sa Princesse, qui estoit en cette extremité, ne s'amusa pas à faire un long compliment, au genereux Thrasibule, qu'il reconnut d'abord à la voix ; Allons mon ancien vainqueur (dit il à ce fameux Pirate qui n'avoit point déguisé son veritable Nom, parce qu'estant fort commun parmi les Grecs, il ne pouvoit pas le faire reconnoistre) allons secourir cette personne illustre : et en disant ces paroles avec assez de precipitation ; il monta l'escalier, suivi de grand nombre des siens ; mais particulierement d'Hidaspe ; de Chrisante ; d'Aglatidas ; de Thrasibule, et de Feraulas : et tous, excepté Thrasibule, estoient estonnez de ne rencontrer point de Soldats dans cette Tour, et de n'en voir point dans le reste du Chasteau. Araspe par les ordres d'Artamene, demeura à la porte avec ses compagnons, afin de ne s'exposer pas mal à propos à quelque surprise. Ce Prince donc impatient de revoir sa Maistresse, marche le premier ; et devançant les autres d'assez loing, arrive au haut de cette Tour. Mais helas, quel desplaisir, et quel estonnement fut le sien ! lors qu'au lieu d'y voir sa Princesse, il n'y vit que le Roy d'Assirie ; c'est à dire le ravisseur de Mandane, son Rival et son Ennemi : mais un Ennemi sans armes, et accablé de douleur. Artamene se tourna alors vers Thrasibule, comme pour luy demander, si c'estoit là cette illustre personne, dont il luy avoit voulu parler ; et voyant que tous ceux qui l'avoient suivi, vouloient aussi estre sur le haut de cette Tour ; et prevoyant que sa conversation avec le Roy d'Assirie, ne seroit pas d'un stile à estre escoutée de tant de monde ; il leur fit signe qu'ils se retirassent, se preparant à demander où estoit sa Princesse ; croyant encore qu'elle pouvoit estre dans un Apartement plus bas, ou en quelque autre lieu du Chasteau. Mais il fut bien surpris d'entendre que le Roy d'Assirie luy dit ; Tu vois, Artamene, tu vois un Prince bien plus malheureux que toy ; puis qu'il est la cause de son malheur et du tien. Mais tu peux voir en mesme temps (adjousta t'il, en luy monstrant une Galere qui paroissoit en Mer, et qui n'estoit pas encore fort esloignée, parce qu'elle avoit le vent contraire) un autre ravisseur de nostre Princesse, bien plus criminel que moy ; puis qu'il m'avoit promis une amitié inviolable ; et que je ne t'avois jamais file:///D|/Bureau/HTML/cyrus1.htm (6 sur 173)13/07/2003 16:32:12