Le Grand Cyrus partie 1 fait esperer nulle part en mon affection. Quoy (s'écria alors Artamene, en regardant cette Galere, et ne regardant plus son Ennemi ; (la Princesse n'est plus en tes mains ? Non, luy respondit le Roy d'Assirie en soupirant : le Prince Mazare, le plus infidelle de tous les hommes me l'enleve ; et t'oste le plus doux fruit de ta victoire. Mais puis que tu ne peux satisfaire ton amour, par la veuë de ta Princesse ; satisfaits du moins ta haine, par la vangeance que tu peux prendre de ton Rival. Tu vois que je ne suis pas en estat de t'en empescher ; et si j'avois pû ne suivre pas des yeux cette Galere, tant qu'elle paroistra le long de cette côste ; il y auroit desja long temps que je me serois jetté dans la Mer ou dans les flames, pour achever mes mal-heurs, et pour ne tomber pas entre les mains de mon Ennemi. Les Ennemis d'Artamene (luy respondit ce genereux affligé) n'ont rien à craindre de luy, que lors qu'ils ont les armes à la main : et l'estat où je te voy, te met à couvert de ma haine, et de mon ressentiment. A ces mots, Artamene se sentit si accablé de douleur, que jamais personne ne le fut davantage : il voyoit sa Maistresse une seconde fois enlevée, et ne pouvoit la suivre ny la secourir : puis que tous les vaisseaux et toutes les Galeres, qui estoient dans le Port, ayant peri par les flames, il n'estoit pas en sa puissance de suivre ce dernier ravisseur pour le punir. Il voyoit d'autre costé ton premier Rival en son pouvoir : mais il le voyoit seul et sans armes ; et sans autre dessein que celuy de songer à mourir. En ce pitoyable estat, desesperé qu'il estoit, par une affliction sans égale, comme sans remede ; il y avoit des momens où sa generosité n'estoit assez sorte, pour l'empescher de penser à satisfaire en quelque façon sa vangeance, par la perte de son Rival : il y en avoit d'autres aussi, où il n'en vouloit qu'à sa propre vie : et dans cette cruelle incertitude de sentimens, ne sçachant ce qu'il devoit faire, ny mesme ce qu'il vouloit faire ; il entendit le Roy d'Assirie qui luy cria, Tu vois, Artamene, tu vois que la Fortune te favorisé en toutes choses : que le vent s'estant renforcé, repousse cette Galere vers le rivage : et que peut-estre bien tost, tu reverras ta Princesse. Artamene regardant alors vers la Mer, vit effectivement que par la violence d'un vent contraire, cette Galere c'estoit si fort raprochée, que l'on pouvoit facilement distinguer des Femmes, qui paroissoient sur la Poupe : et remarquer en mesme temps, qu'avec un prodigieux et vain effort, la Chiurme faisoit ce que les Mariniers appellent Passe-vogue, pour resister aux vagues et aux vents ; et pour s'esloigner de la terre à force de rames. A cét instant, l'on vit de la joye dans les yeux d'Artamene : mais pour le Roy d'Assirie l'on ne vit que de la douleur, et du desespoir dans les siens ; sçachant bien que quand le vent repousseroit cette Galere dans le Port, ce ne seroit qu'à l'avantage d'Artamene, et que ce ne pouvoit estre au sien. Il s'imaginoit pourtant quelque espece de consolation, dans l'esperance qu'il concevoit, de pouvoir punir Mazare. Ne me permettras tu pas, dit il à Artamene, si les Dieux te redonnent ta Princesse, de t'espargner la peine de chastier ton ravisseur ? et ne souffriras tu pas que pour faire ce combat, l'on me donne une espée ? que je te promets de passer un moment apres ma victoire au travers de mon coeur, afin de te laisser joüir en paix, d'un bon heur que je te disputerois toujours, tant que je serois en vie. Cette vangeance me doit estre reservée, reprit Artamene : et puis que par le respect que je porte au Roy d'Assirie, desarmé et malheureux, je me prive du plaisir de me vanger de luy ; il faut du moins que je me reserve celuy de punir Mazare, et de sa perfidie, etde sa temerité. Apres cela, ces deux Rivaux sans se souvenir presque plus de leur haine, se mirent à regarder l un et l'autre cette Galere : et faisant tantost des voeux, et tantost des imprecations, comme s'ils n'eussent eu qu'un mesme interest ; il y avoit des momens, où l'on eust dit qu'ils estoient Amis, tant cét objet dominant attachoit leurs yeux, leurs esprits, et leurs pensées. Mais enfin ils virent que tout d'un coup, la Mer changea de couleur ; que ses vagues s'esleverent ; et que grossissant encore en un moment, elles portoient tantost la Galere dans les Cieux ; et tantost elles l'enfonçoient dans les abismes, Cette triste veuë faisant alors un mesme effet, dans ces coeurs également passionnez ; Artamene regarda le Roy d'Assirie, avec une douleur inconcevable : et le Roy d'Assirie regarda Artamene, avec un desespoir que l'on ne sçauroit exprimer. Ce fut alors que l'égalité de leur malheur, suspendit tous leurs autres sentimens ; et qu'ils esprouverent tout ce que l'amour peut faire esprouver de douloureux et de sensible. Ils voyoient que si le vent continuoit de souffler du costé qu'il estoit, cette Galere se viendroit infailliblement briser contre le pied de la Tour où ils estoient ; si bien que faisant des voeux tous contraires à ceux qu'ils avoient faits un peu auparavant ; ils desiroient que le vent secondast les voeux du ravisseur, et qu'il l'esloignast de la terre. Cependant la tempeste se redoubla : et selon le caprice, et l'inconstance de la Mer, le vent ayant par des tourbillons qui s'entre- choquoient, esté quelque temps en balance ; comme s'il n'eust pû determiner de quel costé il devoit se ranger ; tout d'un coup il esloigna la Galere de la Ville : et luy fit raser la Côste avec tant de file:///D|/Bureau/HTML/cyrus1.htm (7 sur 173)13/07/2003 16:32:12