Le Grand Cyrus partie 1 faire cette demande : mais advoüant que vous estes plus sage que moy, confessez aussi que je suis plus amoureux que vous, puis que je le suis jusques à perdre la raison, que vous conservez toute entiere. je vous disputeray, luy repliqua Artamene, cette derniere qualité, bien plus opiniastrément que l'autre : Le Roy d'Assirie le supplia alors sans luy repliquer, de se souvenir, que peut-estre ne seroit il pas inutile pour la liberté de la Princesse : et qu'ainsi par cette seule raison, il le conjuroit de travailler pour la sienne. A ces mots Artamene se retira, apres avoir mis le Roy d'Assirie sous la garde d'Araspe : luy ordonnant de le traiter avec tout le respect, et toute la civilité possible : et de le mener à son Apartement accoustumé. Le Roy d'Assirie l'entendant, respondit que ce devoit estre le sien : mais Artamene ne le voulut pas : et s'en separant à l'instant mesme, il s'en alla dans toutes les Ruës, pour tenir le Peuple en son devoir ; et pour faire achever d'esteindre le feu. A la recherche de la galère du ravisseur de Mandane Il envoya tout le long des Cistes, pour voir si l'on n'apprendroit rien de la Galere, qui avoit enlevé sa Princesse : et il depescha un des siens vers Ciaxare, pour l'advertir de ce qui s'estoit passé. Enfin il employa tout le reste du jour à donner ses ordres : et le soir estant venu, il se retira dans le mesme Apartement que sa Princesse avoit occupé, à ce qu'il sçeut par Thrasibule ; auquel Artamene fit toute la civilité, que l'extréme inquietude où il estoit, luy pût permettre de luy faire. Il sçeut qu'estant arrivé seulement depuis un jour dans ce Port, pour y faire radouber ses Vaisseaux, qui avoient esté battus de la tempeste ; le Roy d'Assirie l'y avoit fort bien reçeu : et l'avoit obligé de loger dans le Chasteau, où il avoit veû la Princesse de Medie : mais que la nuit derniere, l'on avoit entendu tout d'un coup, le bruit que faisoient les Vaisseaux embrazez, qui en suite avoient mis le feu aux maisons voisines. Qu'à ce bruit, le Roy d'Assirie ayant voulu prendre son espée, ne l'avoit plus trouvée à sa place, et qu'ayant voulu aller à l'Apartement de la Princesse, il l'avoit trouvé fermé : et n'avoit trouvé aucun des Soldats qui avoient accoustumé de garder le Chasteau. Qu'aussi tost il avoit appellé quelques uns des siens, qui avoient ouvert par force cét Apartement, et qui n'y avoient trouvé personne. Que cependant ayant voulu faire sortir tous les domestiques, et voulu sortir luy mesme, il luy avoit esté impossible ; à cause de l'embrazement. Et que depuis cela, il avoit toujours esté sur le haut de cette Tour, à considerer son infortune : resolu à tous les momens, de se jetter dans la Mer ou dans les flames. Thrasibule n'en pouvoit pas dire d'avantage : car il n'y avoit encore qu'un jour qu'il estoit arrivé à Sinope : il laissa donc Artamene dans cét Apartement ; apres que ce Prince l'eut asseuré en s'en separant, qu'il auroit soing de le faire recompenser par le Roy, de la perte de ses Vaisseaux, que le feu avoit devorez : le loüant infiniment de sa moderation ; luy qui dans un accident tant inopiné, ne s'amusoit point à des regrets inutiles ; et souffroit en homme de coeur, une perte si considerable. Artamene passa la nuit avec des inquietudes que l'on ne sçauroit concevoir : voicy, disoit il en luy mesme, le lieu de la persecution de ma Princesse ; et voicy peut-estré l'endroit où elle s'est souvenuë de moy avec douleur ; et où peut- estre elle à regretté le malheureux Artamene. Du moins sçay-je bien qu'elle en a parlé : Car, par quelle autre voye le Roy d'Assirie auroit il pû sçavoir, qu'Artamene n'est pas veritablement Artamene ? moy qui dans le temps que je l'ay veû à la Cour de Capadoce, ne le croyois estre que Philidaspe ; c'est à dire un simple Chevalier, tel qu'il se disoit ; quoy que je fusse pour le moins aussi amoureux que luy ; et par consequent aussi difficile à tromper ? Mais helas ! adorable Princesse, pourquoy faut il que je fois dans vostre prison ; que vostre persecuteur soit icy, et que vous n'y soyez pas ? Je tiens un Rival que je ne puis punir ; je pers une Maistresse que je ne puis sauver, et sa beauté qui fait tout mon bon-heur et toute sa gloire, fait aussi toute mon infortune et tout son mal-heur. Elle luy donne des Adorateurs ; mais des Adorateurs sans respect : et en quelque lieu qu'elle aille, elle me donne des Rivaux et des Ennemis. Ha ! beaux yeux, s'ecrioit il, comme est-il possible que vous inspiriez des sentimens si injustes ; et si déreglez ; Vous, dis-je, qui n'avez jamais porté dans mon coeur, que de la crainte, et de la veneration ? Moy qui n'ay presque jamais osé vous dire que je vous aymois : moy qui ne vous ay regardé qu'en tremblant ; moy qui vous ay si long temps adorez en secret ; et moy, dis-je enfin, qui serois plustost mort mille fois, que de vous faire voir dans mes actions, la moindre chose qui vous peust desplaire. Cependant vous avez embrazé des coeurs indignes de vous : et des coeurs qui sans considerer ce qu'ils vous doivent, n'ont consideré que ce qui leur plaist. Cependant je ne file:///D|/Bureau/HTML/cyrus1.htm (9 sur 173)13/07/2003 16:32:12