Je ne peux pas me repentir de ma passion respectueuse : et je ne sais pas si, malheureux que je suis ; si éloigné que je suis de ma Princesse, je ne préfère pas toujours être Artamene plutôt que Mazare. Ce n'est pas, a-t-il poursuivi, que Mazare ne trouve pas de bonheur dans son crime : car après tout, il la voit ; il lui parle ; et il lui parle de sa passion. Mais je suis persuadé qu'elle lui répond avec mépris ; et que les mêmes yeux qui sont son plaisir et sa gloire, sont aussi sa peine et son châtiment, par les marques de leur colère. En résumé, je pense que je préfère être innocent dans le cœur de ma Princesse, plutôt qu'être seulement à ses pieds comme un criminel. Mais ciel ! s'exclama-t-il soudainement ; qui me dit que cette tempête qui s'est levée, et qui dure encore, ne l'aura pas fait périr ; et de quelles pensées flatteuses laisse-je bercer mon espoir, dans l'incertitude où j'en suis ? Alors qu'il en était là, il entendit un grand bruit : et Chrisante étant entré dans sa chambre, lui dit : « Seigneur, on libère le roi d'Assyrie ; ou pour être plus précis, on l'a déjà libéré. » Araspé ayant entendu quelque bruit dans la chambre du roi prisonnier, où par respect il n'avait pas voulu dormir ; l'a ouverte, et ne l'y a plus trouvé. Immédiatement, nous sommes sortis ; nous avons cherché ; et nous avons vu que sous une fenêtre qui donne sur une maison brûlée ; un tas de ruines et de cendres, a comblé le fossé du château à cet endroit, et a élevé un grand tas de ces matières fumantes, grâce auquel nous jugeons que ce prince s'est échappé. Artamene surpris par une nouvelle aussi fâcheuse, a rapidement envoyé ses ordres à toutes les portes de Sinope ; et est allé lui-même en personne, pour essayer de retrouver son prisonnier. Mais alors qu'il était à une extrémité de la ville, il apprit qu'un groupe de gens armés apparaissait de l'autre côté ; et qu'ils tentaient de s'emparer de la porte. Il y courut aussitôt ; mais il est arrivé trop tard : car le roi d'Assyrie était déjà sorti, et avait forcé le corps de garde. Il y avait toujours quelques-uns des siens, dirigés par Aribée, que l'on avait cru mort, et qui s'était retiré de dessous ces ruines qui l'avaient enseveli ; qui pour donner du temps au roi d'Assyrie de s'échapper, menaient encore un combat avec lui, malgré les blessures que ce traître avait déjà reçues. Mais Artamene ne l'a pas plus tôt reconnu, qu'il lui dit : « Traître, tu es donc ressuscité, pour trahir encore une fois ton maître ! Mais si tu veux échapper à mes mains, il faut que les tiennes m'ôtent la vie. » En disant cela, il l'a attaqué, avec une impétuosité si grande ; qu'Aribée, malgré son courage, a été contraint de reculer. Ce n'était cependant que retarder sa perte d'un instant : car Artamene le pressa de telle sorte ; qu'il ne pensa plus qu'à parer les coups qu'il lui portait : cédant visiblement à la valeur d'un homme, qui ne combattait guère sans vaincre. En fin de compte, il lui donna un coup d'épée si fort à travers le corps, au défaut de sa cuirasse, qu'il l'a abattu à ses pieds. Là, il a admis avant d'expirer, que s'étant retiré de sous ces ruines, il avait rassemblé tout ce qu'il avait pu des siens, qu'il avait fait cacher parmi ces maisons brûlées : et qu'ayant su dans quelle chambre se trouvait le roi d'Assyrie, il était allé au début de la nuit, monter sur ce tas de cendres et de bois à demi consumé ; faire un peu de bruit à la fenêtre de ce prince, pour l'obliger à y regarder ; et que la chose ayant réussi, il l'avait fait s'échapper par cette fenêtre. À ces mots, ce traître perdit la parole et la vie : et tous ses compagnons l'ayant vu dans cet état, prirent aussitôt la fuite. Cependant, Artamene fut contraint de ne pas poursuivre davantage un prince, que l'obscurité de la nuit, dérobait facilement à ses soins. Lorsqu'il est retourné au château, il a envoyé un message à Ciaxare, pour l'informer de cet accident : et a passé le reste de la nuit, à considérer le caprice de sa fortune et de son malheur. En revivant tout ce qui lui était arrivé, il s'étonnait parfois, qu'une vie aussi peu avancée que la sienne, ait déjà été sujette à tant d'événements extraordinaires : et se promenant seul dans sa chambre (car il n'avait pas pu se résoudre à se recoucher) il aperçut sur la table des tablettes de feuilles de palmier, assez magnifiques : mais hélas ! quelle surprise fut la sienne, lors qu'en les ouvrant, il a vu qu'il y avait quelque chose qui était écrit de la main de sa princesse. Il examina de plus près ; il parcourut en un instant toutes ces précieuses lignes ; et après s'être fortement persuadé que c'était bien elle qui les avait tracées : il lut distinctement ces paroles : A LA PRINCESSE MANDANE, AU ROI D'ASSYRIE. Souvenez-vous, Seigneur, que vous m'avez dit plus de cent fois, que rien ne pouvait résister à Mandane ; afin que vous vous en souveniez, et que vous n'accusiez pas le généreux Mazare d'une infidélité, que mes larmes, mes prières, et mes plaintes, lui ont persuadé de commettre : sans qu'il ait un autre intérêt en ma liberté, que celui que la vertu inspire aux âmes bien nées, en faveur des personnes.