Le Grand Cyrus, Partie 1 Malheureuses soyez donc résolues à lui pardonner un crime qui, si on y réfléchit, vous est d'une certaine manière bénéfique car il vous empêche de susciter ma répugnance par les preuves d'amour que vous me donnez. Sachez donc que je protégerai à la cour du Roi mon père celui qui m'a protégée dans la vôtre. Sachez aussi que c'est en pardonnant à Mazare que vous pouvez obtenir votre pardon de la Princesse de Medie et trouver une certaine estime, ne pouvant jamais avoir son affection. Mandane Après avoir fini de lire cette lettre, Artamene regretta tout ce qu'il avait dit et pensé contre Mazare. Admirant sa générosité, il formulait autant de souhaits pour son salut qu'il en avait fait pour sa perte. « Que les apparences sont trompeuses ! » s'exclamait-il. « Et qu'il est hasardeux de juger les sentiments d'autrui sans être pleinement informé ! Qui n'aurait pas dit que Mazare était le plus criminel des hommes, et que sa trahison envers le Roi d'Assyrie n'aurait pas été motivée par un amour illicite ? Pourtant, c'est la pitié et la compassion qui l'ont motivé. Il aurait même voulu que je sois parfaitement heureux. Maintenant, si sa galère a échappé à la tempête, comme je l'espère, mon bonheur ne tardera pas à se réaliser. Bientôt, ma seule déception sera de ne pas avoir contribué à la libération de ma princesse et d'être arrivé trop tard pour la délivrer. Peu importe, cependant, de qui provient le bonheur, tant que nous le recevons. Réjouissons-nous de cette espérance et préparons-nous à être l'ami de Mazare, à le protéger contre le roi d'Assyrie. » Après avoir réfléchi ainsi, il se remit à relire ce que la princesse de Medie avait écrit et après l'avoir relu plusieurs fois, il vérifia s'il n'y avait rien d'autre dans ces tablettes. Mais hélas ! il y trouva ce qu'il ne pensait pas y trouver. C'était une lettre de Mazare au roi d'Assyrie, qui était la suivante : Mazare, Prince des Sacasses, au Roi d'Assyrie. Bien loin de vous cacher mon crime, je veux vous le révéler dans toute sa grandeur. Non seulement je vous trahis, mais je trompe aussi la personne pour laquelle j'ai le plus de respect, à savoir la princesse Mandane. Elle pense que je cherche à la soulager de ses malheurs quand en réalité, je ne pense qu'à diminuer les miens. En bref, je suis coupable envers elle comme envers vous. Je suis même coupable envers moi-même, car à en juger par les apparences, je commets un crime inutilement. Mais que puis-je faire ? C'est l'amour qui me pousse et me contraint à agir ainsi, et je ne me suis pas rendu sans combattre. Si vous êtes vraiment généreux, vous me plaindrez. Sinon, vous chercherez des moyens de vous venger, sans que je m'en plaigne. Je tiens néanmoins à vous déclarer que Mandane me punira suffisamment, car j'ai le cœur assez bien en elle pour en défendre l'entrée à vous, à moi et à tous les princes de la terre. Pour me punir de tout ce que je fais malgré moi, contre vous et contre la générosité exemplaire. Mazare A la lecture de ceci, Artamene s'écria : « Que vois-je et que dois-je craindre de voir ? Je croyais avoir trouvé un ami et l'instant d'après je retrouve un rival ! Un rival qui a peut-être utilisé mon nom pour tromper ma princesse et la kidnapper. Mais, généreuse princesse, puis-je espérer pour me consoler, être aussi bien dans ton cœur que Mazare prétend le croire ? Ha ! s'il est ainsi, quelle fortune mêlée de joie et de malaise ! Heureux de posséder un honneur que tous les rois de la terre ne pourront jamais mériter, malheureux d'avoir un droit à un trésor dont la possession m'est interdite. Le destin capricieux qui régit mes aventures ne me montre jamais aucun bien sans en accentuer instantanément la privation : je ne connais la douceur que pour mieux savourer l'amertume, et je n'apprends que je suis aimé que lorsque, par l'excès de mes infortunes, je suis contraint de haïr la vie et de souhaiter la mort. Alors qu'il en était là, on vint lui dire qu'on n'avait aucune nouvelle de la galère où se trouvait la princesse le long du rivage de la mer, ce qui le consola quelque peu, effrayé qu'il était qu'elle ait fait un triste naufrage.