Le Grand Cyrus, première partie
Il éprouvait une appréhension mais s'approcha néanmoins des marins qui étaient très occupés à profiter des malheurs d'autrui en ramassant tout ce qu'ils pouvaient parmi les débris. Artamene leur demanda ce qu'ils savaient de l'accident. L'un d'eux lui répondit qu'un navire avait dû sombrer la nuit précédente, à en juger par les débris apportés par le flot et par ce qu'ils avaient recueilli d'un homme bel homme, qui avait été transporté dans une cabane de pêcheurs non loin de là, sur la côte. Cet homme rejetait toute aide qu'on essayait de lui prodiguer. Sans demander de détails supplémentaires, Artamene se dirigea vers cette cabane. Là-bas, tous tentaient de secourir l'homme qui avait failli périr, mais qui souhaitait toujours la mort. C'était Mazare. Artamene l'avait vu si souvent à la cour de la reine Nitocris, mère du roi d'Assyrie, à Babylone qu'il l'a reconnu aussitôt. Il était étendu sur un lit, le visage plus trempé par ses larmes que par l'eau de mer, bouleversé plus par son désespoir que par le naufrage. Ce prince affligé levait parfois les yeux vers le ciel, puis les baissait sur une écharpe magnifique qu'il tenait entre les mains. Artamene la reconnut immédiatement comme appartenant à sa princesse. Celle-ci avait refusé de la lui donner autrefois. A cette vue, Artamene fut si bouleversé, qu'il crut mourir. Mais alors que la douleur lui avait ôté la voix, il entendit Mazare, dont la fin semblait imminente, s'écrier, avec le peu de force qui lui restait, "Ô piteux restes de ma belle Princesse ! Pourquoi ne l'ai-je pas sauvée, ou pourquoi au moins ne suis-je pas mort avec elle ? La douleur d'Artamene, mêlée à sa colère, sa rage, son désespoir et son amour, l'empêchait de déterminer s'il devait finir d'ôter la vie à cet homme misérable qui semblait être à moitié mort. Il voulait interroger Mazare, pleurer sa Princesse, accuser les dieux, tuer son rival, se tuer lui-même... Mazare prononça ses dernières paroles d'une voix si faible et basse, que tous crurent qu'il était sur le point de mourir. Artamene, voyant son état, prit l'écharpe que Mazare tenait.