La première partie du Grand Cyrus Il arriva si vite que les deux rivaux perdirent sa trace en un instant, perdant avec elle leur dernier espoir, l'orage étant toujours aussi violent qu'auparavant. Ces deux malheureux ne manquaient pas de mots face à la peur qui les envahissait, voyant que la tempête continuait, redoutant que leur princesse fasse naufrage. Ils auraient aimé pouvoir séparer Mazare de Mandane et ne pas le laisser participer à leurs vœux pour elle. Cependant, ils acceptaient le salut du rival plutôt que d’accepter la perte de la maîtresse. Ils ont même exprimé ce souhait à l’autre plus d'une fois, plutôt que de savoir qu'elle était exposée au danger. Plus d'une fois aussi, ils ont regretté leurs propres souhaits. Cet objet qui avait semblé suspendre toutes leurs passions et toutes leurs pensées, n'étant plus devant leurs yeux, ils ont commencé à se considérer comme avant : comme deux rivaux, et comme deux ennemis. Artamene était sur le point de partir. Il était cependant près de donner l'ordre de garder le roi d'Assyrie, lorsque ce prince lui dit : "Je sais bien que ta naissance est égale à la mienne. Je le sais par différentes voies, si sûres que je ne peux en douter. Alors je me confie en cette générosité que j'ai souvent secrètement admirée malgré ma haine, et que j'ai souvent expérimentée. Je veux croire encore que tu ne refuseras pas une grâce que je veux te demander." "Comme à mon rival", répondit Artamene, "je dois te refuser toute chose. Mais comme au roi d'Assyrie, je te dois accorder tout ce qui ne heurtera pas le roi que je sers, ou la princesse. Sois assuré que je ne refuserai rien de tout ce qui ne heurtera ni mon honneur ni mon amour, et je t'en donne ma parole d'homme, qui, comme tu dis, n'est pas de naissance inégale à la tienne, bien qu'il ne passe pas pour cela, dans l'opinion de tout le monde. "Demander donc ce que tu veux", a-t-il ajouté, "mais consulte d'abord ta propre vertu, pour ne pas forcer la mienne à te refuser malgré elle." Le roi d'Assyrie, voyant qu'il avait cessé de parler, lui répondit : "Je sais que tu peux me remettre entre les mains de Ciaxare. Après lui avoir conquis la meilleure partie de mon royaume, il serait d'une certaine manière avantageux pour toi de lui rendre le roi dans ses chaînes. Mais tu es trop brave pour vouloir que la fortune t'aide à triompher d'un homme fait comme moi et pour te prévaloir de la captivité d'un rival, que tu ne peux croire qu'homme de cœur, puisqu'il a déjà mesuré ton épée à la sienne. "Étant donné l'état de ma passion pour la princesse, dit-il, je ne te cache pas qu'il me faut nécessairement mourir avant que tu la possèdes. Ne me prive pas inutilement de la gloire d'avoir contribué à quelque chose, à la punition de notre ennemi commun, et à la liberté de la princesse : te promettant après cela, même si le destin me favorise et me fait retrouver la noble Mandane, de ne jamais tenter de la persuader à ton préjudice ; que par un combat particulier, les armes aient décidé de notre fortune. Je vois bien, Artamene, ajouta-t-il, que ce que je veux est difficile : mais si ton âme n'était capable que des choses faciles, tu serais indigne d'être mon rival." Artamene répondit : "Il est vrai qu'il n'est pas facile pour moi de faire ce que tu désires, et qu'il serait bien plus facile pour moi de résoudre nos différends, de te rendre ton épée, que de t'accorder cette liberté que tu me demandes ; et qui n'est peut-être pas autant entre mes mains que tu le penses. "Comme mon amour n'est pas moins fort que le tien, reprit le roi d'Assyrie, peut-être le désir de combattre n'est-il pas moins violent dans mon cœur que dans celui d'Artamene. Mais comme je ne veux combattre Artamene que pour la possession de la princesse, et qu'elle n'est pas en état d'être le prix du vainqueur ; il faut Artamene, il faut courir après le ravisseur de Mandane et œuvrer conjointement à sa libération, y ayant un intérêt égal. N'as-tu pas réalisé que si nous périssions tous deux dans ce combat, Mandane, l'illustre Mandane, resterait sans protection et sans défense, entre les mains de notre rival ?" A ces mots, Artamene s'arrêta un moment : puis reprenant la parole il dit : "Il ne serait certainement pas juste d'exposer notre princesse à un malheur pareil : mais il n'est pas non plus équitable que, commandant les armes du roi des Mèdes, je dispose souverainement de la liberté d'un prisonnier, comme l'est le roi d'Assyrie. Tout ce que je peux faire avec honneur, c'est de lui promettre d'employer tous mes soins et toute mon influence pour lui rendre sa liberté, s'il m'est possible, et de ne rien oublier pour cela. "Mais pour lui témoigner que je ne veux pas m'épargner la peine de combattre un ennemi si redoutable, ni m'en exempter lâchement en le retenant prisonnier ; je veux bien lui donner ma parole, de ne jamais prétendre à la possession de la princesse, même si elle était en ma possession ; même si le roi des Mèdes y consentait ; et même si elle le voulait, qu'auparavant par un combat particulier ; le sort des armes ne m'ait rendu son vainqueur. "Je ne peux pas nier", répondit le roi d'Assyrie, "que tu n'aies raison d'agir comme tu le fais ; et que je n'ai eu tort de te demander cela.